jeudi
27 novembre 1997, 15h42 heure de Paris
REPETITION POUR
L'ECLAIR DES PYRENEES
L'adieu à
Barbara par Didier SALTRON
BAGNEUX, 27 nov (AFP) - Barbara repose
depuis jeudi dans le caveau de la famille Brodsky, au cimetière
de Bagneux (Hauts-de-Seine) où elle a été accompagnée
par environ 2.000 proches et amis, connus et anonymes, dont le comédien
Gérard Depardieu qui a rappelé qu'elle est "partie le jour
où on coiffe les vierges".
Dix heures du matin: sous un ciel gris,
le noyau des fidèles patiente dans le carré israélite
de la quatrième division de l'avenue Marx Dormoy. La température
est clémente, même si ce n'est pas celle du printemps, saison
à laquelle la créatrice de "Dis quand reviendras tu?" aurait
voulu être enterrée, "à l'heure de la belle lumière".
Parmi les premiers arrivés: Muriel
Robin, Catherine Lara et le parolier québécois Luc Plamondon,
qui avait collaboré avec Barbara sur "Lily Passion", sa comédie
musicale creé avec Gérard Depardieu au Zénith en 1986.
Le comédien arrivera un peu plus
tard, rejoignant le cercle des proches et de la famille pour un dernier
salut. Le gouvernement est représenté par Mme Catherine Trautmann.
Un de ses prédécesseurs au ministère de la Culture,
M. Jack Lang, est également là.
Au fil des arrivées, on notera
la présence de Jacques Higelin, au bras de Brigitte Fontaine, Jean-Michel
Boris, directeur de l'Olympia, où elle avait ses "adieux" en 1970,
Yves Duteil, maire de Précy-sur-Marne, localité où
elle résidait depuis 1973. Il y a aussi Alice Dona, Jean-Claude
Brialy, qu'accompagne la comédienne Fanny Ardant, Enrico Macias,
Pierre Tchernia, Guillaume Depardieu, qui avait écrit avec elle
une de ses dernières chansons.
La soeur de Barbara lit un texte bref
: "c'est l'automne que tu aimes, rappelle-t-elle, mais pour nous c'est
glacial, soeur au revoir, dors en paix, je t'aime".
Gérard Depardieu -un des visiteurs
réguliers de "Précy-Jardin"- emprunte à Paul Verlaine
: "les sanglots longs des violons de l'automne, bercent mon coeur d'une
langueur monotone". "Tu te méfiais de novembre, dit sobrement l'acteur,
il me reste tes joies, tu chantais de l'au-delà, chante encore,
tu vis maintenant dans ton île aux mimosas, je t'aime mon ange".
Après un instant de recueillement
général, les personnes présentes commencent à
défiler devant le caveau où repose Barbara. Les anonymes
ont le plus souvent une rose à la main ou un lys. Le voeu de simplicité
émis par la famille a été exaucé. Au gré
du cortège, on remarque des représentants d'associations
dont Barbara avait été proche, Act Up notamment. Il y a a
de nombreux hommes et femmes dans la trentaine. Certains ont allumé
une petite bougie.
Deux abris tendus de velours noir permettent
à ceux qui le veulent de laisser un message sur les registres. Une
admiratrice a laissé un portrait au fusain. Barbara avait jadis
évoqué avec humour son enterrement : "y'aura du monde, c'est
sûr, on y verra les pas belles, les cancanières. Et celles
qui ont de la vertu, et de bien méchantes manières, qui se
diront, pour passer le temps, à voix basse des bagatelles, tout
en se repassant la pelle" : la simplicité de ce dernier hommage
l'aurait sans doute surprise.sd
jeudi 27 novembre
1997, 12h14 heure de Paris
Silence et dignité
aux obsèques de Barbara
BAGNEUX (Hauts-de-Seine), 27 nov (AFP)
- Quelque deux mille personnes ont rendu un dernier hommage à Barbara
jeudi au cimetière de Bagneux (Hauts-de-Seine) près de Paris,
où la chanteuse a été mise en terre peu avant midi
dans le caveau familial, situé dans le carré israélite,
avenue de Montrouge (4ème division).
Auparavant, sa soeur lui avait dit un
dernier "Au revoir. Dors en paix, je t'aime" et Gérard Depardieu
avait récité "Chanson d'automne" de Verlaine, "Les sanglots
longs des violons de l'automne..."
Ni musique, ni chanson, mais le silence
et le recueillement des admirateurs portant souvent une rose rouge ou un
lys blanc. Dans deux guérites tendues de velours noir, plusieurs
centaines d'anonymes ont laissé leur message d'adieu ou un portrait
de la chanteuse dessiné au fusain.
Parmi les personnalités, on notait
notamment la présence de Jacques Higelin, une rose thé à
la main, Enrico Macias, Jean-Claude Brialy, Annie Girardot, Guy Béart,
le Québécois Luc Plamondon, Fanny Ardant, Muriel Robin et
Jack Lang.
Pour Guy Béart, "Barbara restera
dans le coeur des gens à Paris, à Nantes ou à Gottingen.
Réactions
de l'association Sol En Si et du SNEP
PARIS, 25 nov (AFP)
- "Sol En Si (Solidarité Enfants
Sida) "apprend avec beaucoup d'émotion la mort de Barbara. Dès
la création de l'association, elle a été aux côtés
de Sol En Si dans la plus grande des discrétions en s'investissant
auprès des enfants et de leurs parents touchés par le SIDA
et en faisant don de ses droits d'auteurs sur sa chanson Sid'amour à
mort à l'association".
- Le Syndicat National de l'Edition Phonographique
(SNEP) "salue avec tristesse la mémoire de Barbara. Les producteurs
de disques rendent hommage à une carrière exceptionnelle
de 40 ans. Artiste exigeante, Barbara a porté au plus haut l'art
de la chanson. Son talent, sa rigueur, sa discrétion ont été
et seront encore longtemps une référence pour les artistes
et l'ensemble des professionnels de la musique".
jeudi 27 novembre 1997, 10h48 heure de
Paris
Un millier de personnes au cimetière
de Bagneux pour les obsèques de Barbara
BAGNEUX (Hauts-de-Seine),
27 nov (AFP) -
Un millier de personnes étaient
réunies dans un profond recueillement jeudi matin au cimetière
de Bagneux (Hauts-de-seine), près de Paris, où doit être
inhumée la chanteuse Barbara, décédée lundi
soir à l'âge de 67 ans.
Sous un ciel très bas, les admirateurs
de Barbara, regroupés en silence dans les allées du cimetière,
attendaient l'arrivée de la dépouille de la chanteuse. Parmi
eux, le chanteur Jacques Higelin, une rose à la main.
"La beauté s'en va", a écrit
l'un d'entre eux sur l'un des registres de condoléances. "Cela ne
fait que dix ans que je te connais, mais je te dois tout. Ma plus belle
histoire d'amour, c'est toi", a inscrit un autre.
Une autre personne a déposé,
près d'un registre, un portrait au fusain de Barbara avec une colombe.
Une petite tribune avec un pupitre a été
dressée dans l'avenue de la Peupleraie de l'immense cimetière
appartenant au domaine des cimetières parisiens. De nombreuses personnes
de confession israélite, celle des parents de la chanteuse, y reposent.
Barbara est morte à l'Hôpital
américain de Neuilly, "victime d'un choc toxi-infectieux d'évolution
foudroyante", selon un communiqué de l'hôpital. Un tel choc
survient après la libération de toxines par une bactérie,
le plus souvent lors d'un état de septicémie (diffusion généralisée
de l'agent infectieux dans l'organisme). Les infections en cause peuvent
être très diverses.bg
mercredi 26 novembre
1997, 17h40 heure de Paris
Barbara: obsèques
publiques dans la simplicité
PARIS, 26 nov (AFP) - Les obsèques
de Barbara, qui auront lieu jeudi à Bagneux (Hauts-de-Seine), seront
publiques mais l'entourage de la chanteuse tient à leur conserver
un caractère de simplicité.
Barbara sera inhumée au cimetière
de Bagneux, qui appartient au domaine des cimetières parisiens et
où reposent de nombreuses personnes de confession israélite,
qui était la foi des parents de la chanteuse.
Barbara est morte lundi soir à
l'âge de 67 ans à l'hôpital américain de Neuilly,
"victime d'un choc toxi-infectieux d'évolution foudroyante", selon
les termes du communiqué de l'hôpital.
Un tel choc survient après la libération
de toxines par une bactérie, le plus souvent lors d'un état
de septicémie (diffusion généralisée de l'agent
infectieux dans l'organisme). Les infections en cause sont très
diverses (digestives, urinaires notamment).
Un choc infectieux, qui nécessite
une hospitalisation d'urgence, peut provoquer des anomalies circulatoires
avec défaillance cardiaque.phb
mardi 25 novembre
1997, 22h49 heure de Paris
Hommage à
Barbara du mime Marceau à l'issue de son spectacle
PARIS, 25 nov (AFP) - Le mime Marcel Marceau
a fait observer, mardi soir à Paris, "trente secondes de silence"
en souvenir de Barbara, décédée lundi, à l'issue
de la répétition générale du nouveau spectacle
de sa Nouvelle compagnie de mimodrame à l'Espace Pierre Cardin.
Marcel Marceau, entouré de sa troupe,
qui venait d'être ovationné par le public, lui a demandé
d'interrompre ses applaudisssements pour ce moment de recueillement "en
hommage à cette grande artiste", a-t-il simplement déclaré,
visiblement ému.
mardi 25 novembre
1997, 18h36 heure de Paris
Réactions
de Serge Reggiani et de Juliette Gréco
PARIS, 25 nov (AFP)
- Serge Reggiani: "J'ai beaucoup appris
de Barbara", a dit le chanteur sur France-Inter. "C'était un lyrisme
moderne, c'était très beau (...) elle était merveilleuse
et irremplaçable".
- Juliette Gréco: " C'était
une personne indispensable, c'était une personne éminemment
utile, et c'était quelqu'un de gai, d'heureux, de généreux
et de joyeux, a-t-elle dit au cours d'une interview sur France-Inter.
"Elle reste vivante et le restera très
longtemps, elle le restera aussi longtemps que nous l'aimerons. Aussi longtemps
que les gens la chanteront, elle vivra à travers tous les gens qui
l'aiment et tous les gens qui apprendront à ceux qui ne savent pas
encore qui elle était. Donc on continue, elle n'est pas morte, elle
n'est pas là, elle s'est absentée".sd
mardi 25 novembre
1997, 16h00 heure de Paris
Marie Chaix, biographe
de Barbara "elle a été tellement entre la vie et la mort
dans ses chansons"
PARIS, 25 nov (AFP) - L'écrivain
Marie Chaix, auteur d'un album biographique sur Barbara en 1986, qui a
appris le décès de la chanteuse aux Etats-Unis, s'est dite
"à la fois bouleversée et peu surprise", affirmant: "j'ait
tant redouté qu'on m'annonce cela car elle a été tellement
entre la vie et la mort dans ses chansons".
Jointe par l'AFP à Key West (Floride)
où elle réside, Marie Chaix avait été la secrétaire
de Barbara de 1964 à 1969. "J'étais assez jeune. Je n'écrivais
pas encore, raconte l'auteur du roman "Les Lauriers du lac de Constance".
Je l'ai connue, car je suis la soeur d'Anne Sylvestre et je courais alors
les cabarets. Je suis allée la voir à L'Ecluse. A l'époque,
j'avais 22 ans et je travaillais comme secrétaire au service de
presse du Seuil. Elle m'a débauchée. Ce furent des années
fantastiques et intenses".
Ensuite, poursuit-elle, "j'ai préparé
cet album de photos avec ce texte. Elle m'avait dit "Je suis d'accord sur
un album à condition que le texte soit de toi". C'était l'époque
de "Lily Passion" avec Gérard Depardieu. C'est moins une biographie
qu'un recueil d'éléments biographiques". A l'époque,
elle se proposait "non pas de la raconter toute, mais de suivre les traces
et les repères que la chanteuse a bien voulu laisser".
Quelle image gardera-t-elle de son amie?
"Je la revois, assise sur son canapé, rue Rémusat. Elle riait
beaucoup, elle était très drôle et avait beaucoup d'humour.
L'un de ses jeux favoris était de regarder la télévision
avec quelqu'un et de faire des commentaires. Récemment, au téléphone,
elle m'avait dit qu'elle aimerait que je passe un après-midi pour
qu'on puisse rire".
Barbara, indique-t-elle, lui avait souvent
demandé d'écrire des chansons, mais "ce n'est pas mon truc".
"Je suis heureuse qu'elle ait vécu
si longtemps pour surmonter ses chagrins et vivre sa vie", a-t-elle conclu.
Calmann-Lévy qui avait publié
un "Barbara", vient de décider de rééditer cet ouvrage
dans les quinze jours qui viennent.
mardi 25 novembre
1997, 17h31 heure de Paris
Réactions
de MM. Fabius, Bartolone et Delanoë
PARIS, 25 nov (AFP) -
- Laurent Fabius, président de
l'Assemblée nationale: "Barbara est morte et la musique s'en est
allée. Sa voix pleine de nostalgie était à la fois
un enchantement et une interrogation. Ses engagements forcèrent
le respect. Elle n'était pas seulement une grande dame, elle était
aussi une grande dame de la vie."
"Je suis aujourd'hui profondément
peiné. Chacun se rappelle ses chansons sublimes qui éveillèrent
dans nos coeurs des instants sensibles, des moments jamais oubliés.
La "femme piano" nous quitte. Comme les enfants de Gottingen, nous sommes
tristes".
- Claude Bartolone: président (PS)
de la commission des Affaires culturelles et sociales de l'Assemblée
nationale: "La mort de Barbara endeuille profondément la chanson
française (...) Barbara aura marqué des générations
par un talent exceptionnel: une voix rare et incomparable d'abord, une
plume remarquable, évidemment".
"Une très grande artiste nous a
quittés, mais (...) de "l'Aigle noir" à "Gottingen", les
chansons de Barbara font partie de notre répertoire".
- Bertrand Delanoë, sénateur
PS et conseiller de Paris: "Je ne doute pas que le conseil municipal saura,
le moment venu, marquer l'empreinte de cette immense artiste parisienne".
"Paris se souvient avec émotion
de ses récitals à Mogador ou au Châtelet. A l'occasion
de son dernier concert au Théâtre musical de Paris, le public
parisien avait connu avec elle l'une de ses plus belles histoires d'amour".sd
mardi 25 novembre
1997, 17h02 heure de Paris
Une génération
en deuil de Barbara, la "dame en noir"
PARIS, 25 nov (AFP) - La voix de Barbara,
toujours entre cristal et félure, s'est définitivement tue
et toute une génération y perd un peu de sa jeunesse. Dans
le concert des hommages, les mêmes mots reviennent : "discrétion",
"liberté", "poésie", "magie", "engagement".
"La voix de Barbara nous manque déjà",
a déclaré le Président Jacques Chirac, relayé
par le Premier ministre Lionel Jospin qui a parlé de son "grand
talent" et sa "voix si singulière".
Le ministre de la Culture Catherine Trautmann
a souligné "l'ardeur et la passion de cette femme, attentive aux
blessures de la vie et aux justes causes", évoquant notamment son
engagement contre le Sida. Engagement salué par l'organisation Act-Up,
pour qui Barbara était "une authentique combattante du Sida".
L'ancien ministre de la Culture Jack Lang
a rappelé "la présence étrange, mystérieuse
et généreuse" de la chanteuse et selon son successeur Philippe
Douste-Blazy "toute la France est veuve aujourd'hui de sa dame en noir".
Jacques Attali, ancien conseiller spécial
de François Mitterrand, salue "la grande artiste qui ne voulait
exister que par son travail". Il rappelle aussi qu'elle était venue
dans les prisons pour parler du SIDA mais elle ne voulait qu'aucun journaliste
ne soit prévenu.
Le chanteur Yves Duteil, également
maire de la commune de Précy-sur-Marne où résidait
Barbara, s'est souvenu d'une femme "extrêmement généreuse"
et "très très discrète".
La longue dame brune
Georges Moustaki, qui avait chanté
avec Barbara l'inoubliable "longue dame brune", s'est dit "assommé"
par la nouvelle. Il venait de lui proposer de chanter à nouveau
en duo, elle avait répondu "Non, en ce moment, je ne suis pas en
état de chanter".
Line Renaud, qui milite aussi pour la
lutte contre le SIDA, est allée se recueillir mardi matin à
l'hôpital américain de Neuilly. "Encore la semaine dernière,
je l'avais au téléphone, elle était très bien.
(...) J'ai respecté son désir de discrétion. Elle
ne voulait pas qu'on la voie et je la comprend. On gardera la belle image
de Barbara".
L'écrivain Marie Chaix, qui fut
sa secrétaire de 1964 à 1969, donne une image plus inattendue
de Barbara : "Elle riait beaucoup, elle était très drôle
et avait beaucoup d'humour. L'un de ses jeux favoris était de regarder
la télévision avec quelqu'un et de faire des commentaires".
Récemment, au téléphone, elle m'avait dit qu'elle
aimerait que je passe un après-midi pour qu'on puisse rire".
Quant à ses anciens voisins de
Précy-sur-Marne, ils se rappellent une dame "très discrète",
qui se chargeait d'acheter les jouets pour l'arbre de Noël, qui faisait
des gateaux pour les enfants, et qui sortait -rarement- pour aller écouter
l'accordéoniste à la guinguette du village.
RTL a modifié sa programmation
au pied levé et organise mardi soir une émission d'hommages
et de témoignages. Toute la journée, une chanson de Barbara
est diffusée après chaque flash d'information.
Enfin France-Soir annonce en Une que "l'aigle
noir est mort" et le Monde raconte "la fin d'une grande histoire d'amour",
plagiant les titres des chansons de la longue dame brune.
mardi 25 novembre
1997, 15h28 heure de Paris
Emotion à
Précy-sur-Marne, le village de Barbara
MELUN (Seine-et-Marne), 25 nov (AFP) -
A Précy-sur-Marne, où Barbara vivait depuis plus de vingt
ans, dans une maison ancienne aux murs recouverts de lierre, face à
l'église, les habitants ne pouvaient cacher mardi leur émotion.
"Elle était discrète mais
elle était là et faisait beaucoup de choses", déclare
un habitant.
A la fête de fin d'année
de ce village de quatre cents habitants, apprécié des stars
puisque le maire de la commune n'est autre que le chanteur Yves Duteil,
c'est elle qui achetait des jouets pour les enfants.
"Elle faisait des dons pour les anciens.
Lors de la dernière fête d'Halloween, elle avait préparé
des gâteaux pour les plus jeunes".
Barbara, "la Dame en noir", sortait peu
mais fréquentait la guinguette du village, "Le Canotier", tenue
par un accordéoniste.
Parmi les rares amis qu'elle recevait
figure Gérard Depardieu, qui lui rendait souvent visite.
Visiblement la chanteuse suscitait l'admiration.
"Si elle est enterrée ici à Précy-sur-Marne, je l'accompagnerai
jusqu'à sa dernière demeure", dit un habitant.
En signe d'hommage, la mairie est restée
exceptionnellement ouverte mardi pour recevoir les gerbes de fleurs et
les témoignages. Un livre de condoléances sera prochainement
mis à la disposition de la population.sd
mardi 25 novembre
1997, 15h20 heure de Paris
Les combats "clandestins"
de Barbara par Jean-François BUGLET
PARIS, 25 nov (AFP) - Barbara, morte lundi
soir, avait confié, à maintes reprises, qu'elle privilégiait
"les combats clandestins" aux prises de position trop "ostentatoires".
Ses combats clandestins, elle les avait
d'abord livrés contre la peine de mort, "une cause qui m'a toujours
trouvée disponible", et qui l'avait rapprochée de François
Mitterrand. Par la suite, elle s'était attachée à
encourager les malades dans leur lutte contre le sida.
Sous le titre "Virus", Télérama
avait consacré une page, en 1990, à "Sancta Barbara", à
ses visites aux toxicomanes "partis", à la fois "révoltés
et d'une grande dignité, me demandant de témoigner".
Trois ans plus tard, la chanteuse avait
toutefois précisé: "Je ne crois pas au pouvoir des artistes,
mon nom n'est pas puissant pour défendre une cause importante".
Barbara avait épousé depuis
bien longtemps la cause de ceux qui sont atteints par le virus du sida.
Ainsi, dès 1987, elle avait interprété "Sid'amour",
collecté des préservatifs entassés dans des cartons
et distribués chaque soir à Paris ou en province, à
l'issue de ses spectacles.
Elle avait alors milité en faveur
de l'installation de distributeurs de préservatifs dans les écoles
et lycées.
Ces dernières années, Barbara
les avait consacrées à la cause des détenus, auxquels
elle rendait visite régulièrement, selon ses proches qui
rappellent qu'elle avait chanté en milieu carcéral.
"Bougez-moi tout ça..."
Ancien président d'Act up, Marc
Nectar, interrogé par l'AFP, explique qu'elle ne cessait de s'inquiéter
des conditions de détention. Récemment, poursuit-il, elle
avait été "la seule personnalité à signer un
texte favorable à la fourniture de seringues dans les centrales.
En la circonstance, elle n'avait pas manqué de courage, comme de
coutume".
Menant son combat dans l'ombre, Barbara
n'était pas une militante d'Act Up. "Elle était bien plus
que ça, une amie", souligne Marc Nectar qui ajoute qu'"au jour le
jour, depuis sa maison où elle demeurait discrètement enfermée,
elle se tenait informée de nos activités. Elle se montrait
très exigeante. N'hésitez pas à me solliciter, nous
priait-elle".
"Bougez-moi tout ça...", avait-elle
demandé à Marc Nectar, lors de leur dernière liaison
téléphonique."
C'est de sa propre initiative que Barbara
avait légué à Act up les droits de la chanson "le
couloir", celui qui, en milieu hospitalier, dessert toutes les chambres,
issue d'un dernier album évoquant la maladie, l'insomnie, la douleur
ou bien encore la grisaille de cette fin du siècle. Néanmoins,
la dame en noir n'avait "aucune fascination pour la mort".
"Je ne m'en vais pas dans les cimetières,
je ne me promène pas comme une chouette sur les toits", confiait
à Libération, il y a neuf ans, celle dont la voix vient de
s'éteindre. "J'ai horreur de la mort, mais je suis fascinée
par la vie, ajoutait-elle. On a peur de perdre les gens qu'on aime, quelquefois
de mourir soi-même..."
mardi 25 novembre
1997, 14h34 heure de Paris
M. Hollande: "l'aigle
noir a désormais regagné le ciel"
PARIS, 25 nov (AFP) - Le premier secrétaire
délégué du PS, François Hollande, a salué
la mémoire de Barbara, décédée lundi soir,
déclarant: "l'aigle noir a désormais regagné le ciel".
"Barbara vient de nous quitter. La poésie
de ses textes a marqué plusieurs générations et laissera
à chacune et chacun d'entre nous le souvenir d'une extrême
sensibilité... L'aigle noir a désormais regagné le
ciel", a déclaré M. Hollande mardi dans un communiqué.
"Je tiens à m'associer à
la tristesse en premier lieu de sa famille et de toutes celles et ceux
qui aimaient cette grande dame de la chanson française", a-t-il
ajouté.ed
jeudi 27 novembre
1997, 12h42 heure de Paris
2.000 personnes
aux obsèques de Barbara
PARIS, 27 nov (AFP) - Quelque 2.000 personnes
ont rendu un dernier hommage à Barbara jeudi au cimetière
de Bagneux, près de Paris, où la chanteuse décédée
lundi à l'âge de 67 ans, a été enterrée
dans le silence et la dignité dans le caveau familial, situé
dans le carré israélite.
Sa soeur lui avait dit un dernier "Au
revoir. Dors en paix, je t'aime" et le comédien Gérard Depardieu
avait récité "Chanson d'automne" de Verlaine, "Les sanglots
longs des violons de l'automne"
Ni musique, ni chanson, mais le silence
et le recueillement des admirateurs portant souvent une rose rouge ou un
lys blanc. Dans deux guérites tendues de velours noir, plusieurs
centaines d'anonymes ont laissé leur message d'adieu ou un portrait
de la chanteuse dessiné au fusain.
Parmi les personnalités, on notait
notamment la présence de l'ancien minsitre de la Culture Jack Lang
et de nombreux gens du monde du spectacle comme Jacques Higelin, Enrico
Macias, Jean-Claude Brialy, Annie Girardot, Guy Béart, le Québécois
Luc Plamondon, Fanny Ardant, Muriel Robin.
Pour Guy Béart, "Barbara restera
dans le coeur des gens à Paris, à Nantes ou à Gottingen",
allusion aux titre de ses chansons.
Barbara est morte à l'Hôpital
américain de Neuilly, près de Paris, "victime d'un choc toxi-infectieux
d'évolution foudroyante", selon les médecins. Un tel choc
survient après la libération de toxines par une bactérie,
le plus souvent lors d'un état de septicémie (diffusion généralisée
de l'agent infectieux dans l'organisme). Les infections en cause peuvent
être très diverses.nev t
mardi 25 novembre
1997, 13h06 heure de Paris
La mort de Barbara,
la "longue dame brune" de la chanson par Didier SALTRON
PARIS, 25 nov (AFP) - Barbara, "la longue
dame brune" de la chanson, soeur d'âme de Brassens, Brel, Ferré,
créatrice de "L'aigle noir", "Gottingen", "Nantes" et quelques autres
classiques de la chanson française, est morte lundi soir à
l'hôpital américain de Neuilly, où elle avait été
hospitalisée la veille.
Personnalité entière, connue
pour son indépendance farouche et son goût de la liberté,
Barbara, née Monique Serf le 9 juin 1930 à Paris, laisse
plusieurs "standards" à la chanson française : "Dis quand
reviendras tu ?" (1959), "Nantes", "Gottingen", "Ma plus belle histoire
d'amour" (1965), "La dame brune" (1968), "L'aigle noir" (1970).
En 1996, elle avait sorti son dernier
album portant simplement le prénom qui l'avait rendu célèbre,
en France, mais également dans plusieurs pays à l'étranger,
où elle incarnait une certaine tradition de la chanson française.
Ce disque lui vaudra un an plus tard une "Victoire de la musique".
Barbara se dédia pendant toute
sa vie à son art, sa vie privée dût-elle en pâtir.
"Je ne suis pas douée pour la vie à deux", avait un jour
confié à l'AFP la citoyenne de Précy-sur-Marne, localité
de la région parisienne où elle s'était retirée
depuis une vingtaine d'années.
Après une formation au conservatoire
de Paris, Barbara choisit de se consacrer à la chanson. A l'époque,
elle n'est qu'interprète. Elle met sa voix si particulière,
toujours au bord de la rupture, au service d'Aznavour, Brassens, Brel,
Moustaki. Au début des années 50, elle met le cap sur Bruxelles
pour y faire ses classes.
De retour à Paris, elle se produit
"chez Moineau" et surtout au cabaret de l'Ecluse, où, pendant 10
ans (1953-1963), elle est présentée comme "la chanteuse de
minuit". Il lui faudra pratiquement 15 ans pour s'imposer. La chance prend
les traits de deux personnes : Denise Glaser, alors célèbre
animatrice de télévision, et Louis Hazan, PDG de Philips,
qui lui offrent, la première un Discorama (prestigieuse émission
à l'époque), le second un contrat avec une maison de disques
chez qui elle restera toute sa carrière. En 1965, Barbara se produit
en vedette à Bobino, quatre ans après s'y être risquée
en vedette américaine de Félix Marten.
La boucle bouclée
En 1965 toujours, elle écrit un
de ses "classiques", "Ma plus belle histoire d'amour" et rencontre l'impresario
Charley Marouani, autre artisan de sa "carrière" (un mot qu'elle
avait en horreur).
La deuxième moitié des années
60 sera très productive : "Nantes" (inspiré par la mort solitaire
de son père, en 1949 à Nantes), "L'enfance", "Musique pour
une absente". Puis c'est "La dame brune" (écrite avec Moustaki),
"L'aigle noir" (70), le seul "tube" de cette artiste atypique. Elle goûte
au cinéma au début des années 70, avec Jacques Brel
("Franz", 1972), puis Jean-Claude Brialy ("L'oiseau rare", 1973).
En 1973, la citadine assidue, noctambule
insatiable, s'installe à Précy-sur-Marne, petite localité
de la région parisienne qui devient son antre. Elle en sort peu.
Les amis passent la voir, selon un cérémonial toujours bien
réglé, mélange de simplicité et de théâtralité.
En même temps, elle se consacre
essentiellement à la scène : en 1981 c'est l'Hippodrome de
la Porte de Pantin (100.000 spectateurs, dont François Mitterrand
récemment élu président de la République).
En 1986, au Zénith, elle propose "Lily Passion", comédie
musicale avec Gérard Depardieu qui constituera un de ses rares échecs
artistiques. Suivront le Châtelet, Mogador, puis à nouveau
le Châtelet en 93.
Présente sur scène, Barbara
délaisse l'écriture. En 1980 parait un album au titre symbolique
("Seule"). Elle n'en fera pas d'autre avant 16 ans. En septembre 96, le
disque du retour, "Barbara", la voit explorer de nouveaux terrains musicaux,
en compagnie de nouveaux complices tels l'ex Téléphone Jean-Louis
Aubert.
En octobre 1993, retour au Châtelet.
En retrouvant cette salle située à un jet de pierre de l'Ecluse
de ses débuts, Barbara confie que la "boucle est bouclée".
Ce sera sa dernière rentrée parisienne, encore une fois très
bien accueillie. Mais dans les derniers jours de l'année, Barbara
annule une demi douzaine de représentations. Sa voix est défaillante.
Les concerts au Châtelet ne reprendront pas. Elle chantera sur scène
pour la dernière fois le 26 mars 1994 à Tours.
A Précy-sur-Marne, un rocking-chair
est vide : celui dont elle ne se séparait jamais et qu'elle emmenait
toujours avec elle en tournée, avec ses châles noirs, autres
fétiches de cette femme qui adorait les rituels.
mardi 25 novembre
1997, 12h46 heure de Paris
Réactions
PARIS, 25 nov (AFP)
- Act-Up déplore mardi la mort
de Barbara "une authentique combattante du Sida", affirmant notamment que
"parmi les rares artistes impliqués dans la lutte contre le sida,
Barbara a été la seule à nous soutenir sans faille,
sans réserve et sans interruption".
"Avec nous elle se battait pour les prisonniers,
les étrangers, les homosexuels, les prostituées, les toxicomans",
poursuit l'organisation de soutien aux malades du sida.
"Aujourd'hui, les militants d'Act Up sont
tristes", conclut le communiqué.
- L'ancien ministre de la Culture Philippe
Douste-Blazy a salué mardi en Barbara "une artiste unique, une des
plus grandes figures de la chanson française, à l'égal
de Jacques Brel, Yves Montand ou Edith Piaf".
"Toute la France est veuve aujourd'hui
de sa dame en noir", ajoute l'ancien ministre dans un communiqué,
en rendant hommage à la "voix si troublante et puissante, si émouvante
et chaleureuse" de Barbara, qui vient de mourir à 67 ans.bg
mardi 25 novembre
1997, 12h12 heure de Paris
Barbara écrivait
ses mémoires
PARIS, 25 nov (AFP) - La chanteuse Barbara,
qui vient de mourir à Neuilly-sur-Seine, était en train d'écrire
ses mémoires et se trouvait "à mi-chemin", a-t-on appris
mardi auprès de Claude Durand, PDG de Fayard, interrogé par
l'AFP.
"Jacques Attali nous avait mis en relation,
a précisé Claude Durand. Dans la mesure où elle n'avait
plus de contact sur scène avec le public, elle avait décidé
de l'avoir par l'écrit". Barbara n'avait jamais écrit auparavant
d'ouvrages.
Barbara avait "une écriture très
personnelle, haletante, très colorée, très imagée,
à la fois tendre et impérieuse, scandée, à
l'image de ses chansons", souligne l'éditeur.
La longue dame brune envoyait "chaque
matin, à son éditeur ses feuillets par fax". "Je lui répondais
une demi-heure après. Nous avions une sorte de dialogue quotidien.
Elle retravaillait énormèment, faisait 7 ou 8 versions d'un
même passage", a indiqué Claude Durand.
Dans ses Mémoires "semi-chronologiques",
Barbara, raconte Claude Durand, évoque notamment le cabaret de L'Ecluse,
ses débuts difficiles, la mort de son père qui lui a inspiré
"Nantes"", sa vie privée, ses rencontres, ses passions."
Elle évoque également "des
gens de rencontres, manifestant une attention aussi grande aux célébrités
qu'aux anonymes, techniciens du son, musiciens..
La chanteuse et l'éditeur n'avaient
pas convenu d'un titre définitif."La décision de publication
dépend des ayants droit", indique l'éditeur.bg
mardi 25 novembre
1997, 11h30 heure de Paris
Catherine Trautmann:
"une de nos plus belles histoires d'amour, c'est Barbara"
PARIS, 25 nov (AFP) - "Une de nos plus
belles histoires d'amour, c'est Barbara", déclare mardi Le ministre
de la Culture et de la Communication Catherine Trautmann qui dit éprouver
"une profonde tristesse".
Avec la disparition de Barbara, "la chanson
française perd une voix unique, reconnaissable aux premiers accents,
une présence mystérieuse qui savait pourtant se faire si
proche de ceux qui l'écoutaient et qui devenaient ses amis, le temps
d'une chanson et souvent bien au-delà", déclare Mme Trautmann.
"L'ardeur et la passion de cette femme,
attentive aux blessures de la vie et aux justes causes, habitaient totalement
son univers artistique. "Sid'amour à mort" reste dans nos mémoires
comme l'un des plus beaux chants d'amour", ajoute Mme Trautmann.bg
mardi 25 novembre
1997, 11h27 heure de Paris
Jack Lang: Barbara
était "une figure rayonnante de la chanson"
PARIS, 25 nov (AFP) - Barbara était
"une figure rayonnante de la chanson et de la poésie françaises,
un immense personnage de la scène par sa présence étrange,
mystérieuse et généreuse", a indiqué Jack Lang,
ancien ministre de la Culture à l'annonce de la mort de la chanteuse.
"C'était une amie incomparable
par sa générosité, sa fidélité et sa
noblesse d'âme. Je ne peux oublier en cet instant les liens intimes
et forts qui la liaient à François Mitterrand", ajoute M.
Lang dans un communiqué, rappelant que Barbara avait composé
en mai 1981 "L'homme à la rose", dans laquelle "elle exprimait avec
délicatesse l'atmosphère du changement qui se dessinait".
François Mitterrand, "en signe
d'amitié, avait choisi "Goetingen" pour clore la dernière
émission télévisée de la campagne présidentielle
de 1988", rappelle-t-il.
"Ce fut pour moi un honneur de soutenir
ses projets et ses actions, en particulier la comédie musicale qu'elle
réalisa en 1986 avec Gérard Depardieu". "Ses engagements
étaient moins politiques que civiques et poétiques. Son action
contre le SIDA s'est déployée discrètement mais avec
ténacité dans les prisons et les établissements scolaires",
dit-il encore.cr
mardi 25 novembre
1997, 11h24 heure de Paris
Lionel Jospin: "notre
pays perd un très grand talent"
PARIS, 25 nov (AFP) - Le Premier ministre
Lionel Jospin a déclaré mardi que la France perdait un "très
grand talent" avec le décès de Barbara, une femme à
la "voix si singulière" et aux "textes si exigeants" et "en même
temps une chanteuse populaire".
"Cette nouvelle m'a profondément
touché", a déclaré M. Jospin devant des journalistes,
ajoutant qu'elle ne l'avait "malheureusement pas tout à fait surpris"
car il savait que Barbara était hospitalisée.
"Je faisais partie de ses admirateurs,
comme beaucoup de Françaises et de Français", a dit le Premier
ministre.
"J'ai été frappé
à travers le temps par le fait qu'une femme dont la voix était
si singulière, les textes si exigeants, la personnalité si
originale, et que rien peut-être ne prédisposait à
avoir un succès immense, a été en même temps
une chanteuse populaire, même si elle avait ses partisans plus passionnés
que d'autres", a-t-il ajouté.
"C'était un personnalité
complexe, une femme qui avait le sens de la souffrance et qui était
sensible à la souffrance des autres", a souligné Lionel Jospin.bg
mardi 25 novembre
1997, 11h15 heure de Paris
Jacques Chirac:
"la voix de Barbara nous manque déjà"
PARIS, 25 nov (AFP) - Le président
Jacques Chirac a rendu hommage mardi à la chanteuse Barbara, dont
il a appris la disparition "avec une vive émotion" et dont "la voix
nous manque déjà".
"J'apprends avec une vive émotion,
émotion qui sera très largement partagée, la disparition
de Barbara", indique le chef de l'Etat dans un communiqué rendu
public par le service de presse de l'Elysée.
"Elle était le talent, l'intensité,
le don de soi au public, la passion, passion des mots et des rythmes, mais
aussi passion tout court", ajoute-t-il.
"Pour tous ceux qui l'aimaient et qui
appartenaient à toutes les générations, elle était
une amie en même temps qu'une grande dame. Sa voix nous manque déjà",
conclut Jacques Chirac.cr
mardi 25 novembre
1997, 10h54 heure de Paris
Moustaki "assommé"
par la mort de Barbara
PARIS, 25 nov (AFP) - Le chanteur Georges
Moustaki s'est déclaré mardi "assommé" par la disparition
de Barbara, décédée lundi soir à l'Hôpital
américain de Paris, à Neuilly-sur-Seine (Hauts-de-Seine)
à l'âge de 67 ans.
"La nouvelle m'a surpris et m'a vraiment
assommé. Et puis, en même temps, j'aurais dû savoir
qu'elle n'allait pas bien", a déclaré Moustaki interrogé
par France Info.
"C'est un sentiment qu'on a, quand quelqu'un
disparaît, d'impuissance d'accablement (...). Là, je venais
de faire une chanson, j'avais envie qu'on la chante. Il y a longtemps qu'on
n'a pas fait un duo; elle m'avait dit "Non, en ce moment, je ne suis pas
en état de chanter" et j'aurais dû comprendre ce message comme
étant beaucoup plus grave que je ne l'ai supposé".cr
mardi 25 novembre
1997, 10h52 heure de Paris
Lionel Jospin "touché"
par la mort de Barbara
PARIS, 25 nov (AFP) - Le Premier ministre
Lionel Jospin s'est déclaré mardi "touché" par le
décès de la chanteuse Barbara qu'il "connaissait" et "admirait".
M. Jospin était interrogé
en marge d'une conférence de presse sur la Coupe du monde de football.
Le Premier ministre a indiqué qu'il
s'exprimerait plus tard sur ce décès.cr
mardi 25 novembre
1997, 10h00 heure de Paris
Mort de la chanteuse
Barbara
PARIS, 25 nov (AFP) - La chanteuse Barbara
qui vient de mourir à 67 ans, de son vrai nom Monique Serf, avait
été hospitalisée dans la nuit de dimanche à
lundi à l'Hôpital Américain de Neuilly.
Née à Paris le 9 juin 1930,
elle avait suivi les cours du conservatoire de Paris.
Barbara avait été récompensée
le 10 février dernier par la Victoire de la Musique de l'"artiste
interprète féminine de l'année". Son dernier disque,
"Barbara", le 13ème de sa carrière et son premier après
un silence phonographique de 16 ans, avait été publié
le 6 novembre 1996. Le dernier concert de la chanteuse remontait au 26
mars 1994 à Tours.
Domiciliée depuis une vingtaine
d'années à Précy-sur-Marne (Seine-et-Marne), localité
dont le maire est le chanteur Yves Duteil, Barbara, était la créatrice
de chansons comme "Ma plus belle histoire d'amour" (1965), "La dame brune"
(1969), "L'aigle noir" (1970), "Au bois de Saint Amand", "Nantes", "Gottingen"...
Elle avait fait ses débuts parisiens
en 1953 au cabaret de l'Ecluse, en interprétant Brassens et Ferré
avant de composer elle-même son propre répertoire.
Célibataire depuis toujours ("ma
plus belle histoire d'amour, c'est vous", chantait-elle régulièrement
à l'adresse de son public), Barbara, avec un grand sens de lamise
en scène, se produisait régulièrement en concert même
si elle avait mis sa carrière discographique entre parenthèses
ces dernières années. Elle avait rompu un silence (hormis
quelques disques "live") de 16 ans en novembre 96 par l'album "Barbara"
qui marquait son retour. Ces dernières années, on avait pu
notamment la voir au théâtre du Châtelet (1987 et 1993)
et à Mogador en 1990.
En 1986, elle avait monté une comédie
musicale avec Gérard Depardieu au Zénith ("Lily Passion").
Barbara était engagée depuis
plusieurs années dans une action de soutien aux personnes atteintes
du SIDA, maladie qui lui avait inspiré la chanson "Sid'amour à
mort" en 1987.
Elle était chevalier de la Légion
d'honneur.bg
mardi 25 novembre
1997, 09h56 heure de Paris
La chanteuse Barbara
PARIS, 25 nov (AFP)- La chanteuse française
Barbara, qui vient de mourir à 67 ans, de son vrai nom Monique Serf,
avait été hospitalisée dans la nuit de dimanche à
lundi à l'Hopital Américain de Neuilly.
Née à Paris le 9 juin 1930,
elle avait suivi les cours du conservatoire de Paris.
Barbara avait été récompensée
le 10 février dernier par la Victoire de la Musique de l'"artiste
interprète féminine de l'année". Son dernier disque,
"Barbara", le 13e de sa carrière et son premier après un
silence phonographique de 16 ans, avait été publié
le 6 novembre 1996. Le dernier concert de la chanteuse remontait au 26
mars 1994 à Tours (centre ouest).
Domiciliée depuis une vingtaine
d'années à Précy-sur-Marne (Seine-et-Marne), localité
dont le maire est le chanteur Yves Duteil, Barbara était la créatrice
de chansons comme "Ma plus belle histoire d'amour" (1965), "La dame brune"
(1969), "L'aigle noir" (1970), et puis encore "Au bois de Saint Amand",
"Nantes", "Gottingen"...
Elle avait fait ses débuts parisiens
en 1953 au cabaret de l'Ecluse, en interprétant Georges Brassens
et Leo Ferré avant de composer elle même son propre répertoire.
Personnage qui avait le sens de la mise
en scène, célibataire depuis toujours ("Ma plus belle histoire
d'amour, c'est vous", chantait-elle régulièrement à
l'adresse de son public), Barbara se produisait régulièrement
en concert même si elle avait mis sa carrière discographique
entre parenthèses ces dernières années, un silence
(hormis quelques disques "live") de 16 ans rompu en novembre 96 par l'album
"Barbara" qui marquait son retour.
Ces dernières années, on
avait pu notamment la voir au théâtre du Châtelet (1987
et 1993) et à Mogador en 1990.
En 1986, elle avait monté une comédie
musicale avec Gérard Depardieu au Zénith ("Lily Passion").
Barbara était engagée depuis
plusieurs années dans une action de soutien aux personnes atteintes
du SIDA, maladie qui lui avait inspiré la chanson "Sid'amour à
mort" en 1987.mb T
mardi 25 novembre
1997, 09h46 heure de Paris
Décès
de la chanteuse Barbara
PARIS, 25 nov (AFP) - La chanteuse française
Barbara est décédée lundi soir à l'âge
de 67 ans à Neuilly-sur-Seine (Paris), a indiqué l'Hopital
américain de Neuilly.
De son vrai nom Monique Serf, Barbara
a été "victime d'un choc toxi-infectieux d'évolution
foudroyante", a précisé le docteur Patrick de Rohan Chabot
dans un communiqué.
Elle est décédée
"en dépit de toutes les techniques de réanimation mises en
oeuvre", a ajouté le médecin.
Barabara avait été hospitalisée
à Neuilly dans la nuit de dimanche à lundi. nj t
mardi 25 novembre
1997, 09h38 heure de Paris
URGENT Décès
de la chanteuse Barbara
ARIS, 25 nov (AFP) - La chanteuse Barbara
est décédée lundi soir à Neuilly-sur-Seine
(banlieue de Paris), a indiqué l'Hopital américain de Neuilly.pln,j
t
LIBERATION 26 novembre
1997
«Y'aura du
monde à l'enterrement si l'on en croit les apparences... Le jour
où je me ferai belle»... Barbara est morte lundi soir à
l'âge de 67 ans à l'Hôpital américain. Ses obsèques
auront lieu demain à Bagneux.
Le 26 novembre 1997
Un chien aboie derrière la porte
fermée, et les volets sont clos. Hier, la maison de Barbara, au
coin de la Grande Rue de Précy-sur-Marne (Seine-et-Marne), village
de 400 habitants, était déserte.
La chanteuse avait été
hospitalisée en urgence dans la nuit de dimanche à lundi
à l'hôpital américain de Neuilly. Il était trois
heures du matin quand les pompiers de Précy-sur-Marne l'ont transportée
jusqu'à Melun, où le Samu l'a prise en charge. Elle est morte
lundi soir, «victime d'un choc toxi-infectieux d'évolution
foudroyante», selon le docteur Patrick de Rohan-Chabot, «et
en dépit de toutes les techniques de réanimation mises en
œuvre». Depuis de nombreuses années, Barbara souffrait d'infections
pulmonaires à répétition. Elle avait 67 ans.
«Quand elle s'est installée
à Précy-sur-Marne, il y a une vingtaine d'années,
elle avait envie d'un havre de paix, d'un endroit où poser ses valises»,
raconte le maire du village, le chanteur Yves Duteil élu en 1989:
«Ce sont ses amis, dont Jean-Claude Brialy, je crois, qui lui ont
trouvé cette maison. Elle en était tombée amoureuse».
Maisons sous les rosiers. A Précy-sur-Marne,
peu de monde pénétrait dans cette grande maison ancienne,
enfouie sous le lierre et les rosiers. Sauf une femme de ménage,
habitante du village, que sa voisine, une très vieille dame, évoque:
«Barbara l'appelait souvent, elle lui donnait des photos, elle lui
demandait de relever son courrier. Elle n'en avait pas besoin, elle faisait
ça par gentillesse pour l'occuper, la faire bouger».
Les habitants la voyaient peu, ils
ne la connaissaient pas: «Elle était discrète»,
disent ses voisins, «mais pas lointaine, elle avait un grand cœur».
Peu après son arrivée à Précy, Barbara a offert
un cadeau à chaque enfant pour Noël. La distribution est devenue
une tradition, reprise par la mairie, et que la chanteuse aidait à
financer. Elle participait aussi aux présents remis aux personnes
âgées, «ces derniers temps, ça la faisait beaucoup
rire», raconte Yves Duteil, «elle disait qu'elle avait atteint
l'âge, qu'elle avait droit, elle aussi, à un cadeau».
Corbeille de préservatifs.
Dans le hall de la mairie où un registre est ouvert aujourd'hui,
une corbeille remplie de préservatifs est là, en permanence,
à la disposition des jeunes du village -- «encore une initiative
de Barbara».
Hier, un vieil homme a frappé
à la porte de la grande maison. Il en a fait le tour. Il attendait.
Il avait entendu la nouvelle à la radio, il est accouru, avec son
épouse, de Fontenay-aux-Roses: «Je pensais trouver Béa,
sa secrétaire» , explique-t-il, «on était de
bons amis, elle n'était pas encore chanteuse quand j'ai fait sa
connaissance en 1950. Il y a quelques semaines, elle devait venir chez
moi avec Gérard Depardieu, ils étaient très amis,
elle m'avait dit, "Ne prépare rien, j'ai un diabète, je ne
mange plus".». Le repas n'a pas eu lieu, et, hier, le couple est
parti à l'hôpital américain de Neuilly, «pour
voir».
Depardieu et Line Renaud. Dans le
hall de l'établissement, un autre registre était mis à
la disposition des visiteurs. Gérard Depardieu était venu
à l'hôpital dans la matinée, suivi de Line Renaud.
Et d'autres, par petits groupes, anonymes. Danièle, 51 ans, qui
travaille à la SNCF, Jean-François, 43 ans, enseignant, ajoutent
quelques lignes sur les pages du livre de condoléances. Une amie
aveugle les accompagne. Elle questionne: «C'est quand l'enterrement?
Vous me direz?»
Ils ont tous apporté des
brassées de roses et de mimosas. «Ça n'est pas un fan-club»,
explique Jean-François qui «connaît» la chanteuse
depuis février 1969: «Nous sommes son public, elle n'était
pas inaccessible, au fil des années, on avait noué des liens
d'amitié». Danièle explique qu'elle était allée
voir Barbara «à un moment très triste» de sa
vie, juste après la mort de son père: «j'ai été
très émue, je lui ai écrit, elle m'a répondu.»
Quand, à la fin d'un spectacle, le groupe demandait à voir
la chanteuse dans sa loge, «elle acceptait toujours, elle nous connaissait».
Les obsèques de Barbara auront
lieu jeudi 27 novembre, à 11 heures, au cimetière de Bagneux
(Hauts-de-Seine), avenue Marx-Dormoy.
BRIGITTE VITAL-DURAND
«Aujourd'hui,
c'est moi l'éclipse du soleil» Rencontre de studio, il y a
un an, autour de son dernier album.
Le 26 novembre 1997
Au mois d'octobre 1996, nous avons vécu
sous le charme ténébreux de la dame, en studio pour son «album
testament». De carnets perdus sur ces rencontres intenses, quelques
notes rescapées, volontairement en l'état, sur la survivante,
entre deux séjours mystérieux à l'hôpital.
«J'ai trouvé formidable
que vous disiez que vous ne me parleriez pas, ne me toucheriez pas»,
dit-elle, de dos. «Va, ce monde je te le donne» passe dans
l'air.
Sa tenue est la suivante: bibi de
laine noire à la Touareg, incrusté d'un camée étincelant,
lunettes noires de scaphandrière sortie du Septième Sceau
ou de Mad Max, mante noire dont elle remonte les ailes, des airs de technicienne
de contrôle, chaussures luisantes noires surmontées de sortes
de guêtres, pantalon tirant au sarouel noir et des poignets
de laine, puis des mitaines, qu'elle froissera plus tard, noirs.
Sa démarche est dansante,
avec des coups de reins, de hanches, des pivotements sur les chevilles,
bayadère fossile, en élan pointillé.
Au moment où s'entrouvre
la porte du sanctuaire (studio à Suresnes, au coin de la rue Debassayens-de-Richemont),
Barbara supervise le mixage du tout dernier morceau du disque, enregistré
ce matin: Vivant poème. C'est l'amorce de la réécoute
intégrale, à plat.
Elle se tient dans un rocking-chair,
exacte transposition mobilière de sa voix oscillante. Des Appalaches
de vu-mètre orange dessinent photiquement son timbre dans la chanson
devant, comme l'électro-encéphalogramme criblé de
thêtas pointus d'une vie.
Sur «à travers les
miroirs... la vie est un long je t'aime», elle lève les mains,
tout en se balançant les bras en suspension, avant de rabattre le
tout, un index (gauche) dressé. Elle se penche sur le technicien
au cheveu un peu grunge (Thierry Rogen): «On y est presque.»
Comme une source de lumière noire, Barbara star se concentre à
l'écoute. L'ambiance est recueillie, intense sans tension.
Relevée, elle répète
(trois fois), sans se tourner: «Ça m'a plu, vous ne pouvez
pas savoir, que vous disiez: "Je ne lui parlerai pas"...»
Revenue à la chaise à
bascule, légendaire comme le siège d'Emmanuelle, elle reprend:
«Un poil de plus, chéri...» (sur la batterie; Thierry:
«Ils vous ont fait une belle batterie...»), et suspend le geste
d'étirer un poil, un fil.
En décalage constant avec
la vie, en avance sur elle, elle met ainsi en scène, avec de ces
mouvements qui envoûtent son public, sa solitude artistique, cette
concrétion de ses fantômes. On voit beaucoup d'ongle.
Les mots, régulièrement,
sont happés en pleine émission, aspirés à la
faveur d'un arrêt-retour de la bande de passage, occasionnant des
soupirs étranges, comme des effets de silence brut saisissant les
vocables qu'on rêverait de retrouver sur disque, très électro-rap,
antichant, comme on dit antimatière, de mots dans l'espace-temps.
«On remet un peu de cymbale
à la fin», dit Thierry. Pendant cet intermède, Barbara
vient nous redire: «Je ne m'occupe pas de vous», puis, avisant
le carnet de notes (Rhodia): «Vous avez raison, ce sont les seuls
qui...» Et repenchée sur l'immense console de Guerre des étoiles,
pensant tout haut: «C'était un souci...»
«Oui, 95% des arrangements,
c'est elle», commente quelqu'un derrière.
Rien que de la jeunesse, relative,
en jean et équipe réduite, autour de la dame, pour cette
dernière ligne droite. La reine, ce n'est même plus elle,
c'est la «voix». Telle qu'elle claque, bat la campagne, ouvrant
des horizons, dans le carrousel de baffles haute définition cernant
les lieux. La voix-présence, sans issue, inimitablement factice,
pur nervosisme. On imagine la Berma de la Recherche. D'elle, enfouie dans
ses vêtements, retranchée, il n'y a que la voix qui sourd.
«Vous ne voulez rien? Je veux
dire café, quelque chose comme ça...», demande-t-elle
encore, étourdiment, entre deux mots à Bouddha. C'est le
surnom qu'elle a donné, pour sa débonnaireté, à
Jean-Yves Billet, responsable Polygram de l'intégrale Barbara, en
1991, qui aura débouché sur ce retour discographique après
seize ans de silence studio.
Barbara fait soudain penser, mi-guerrière
mi-Garbo, à Darth Vador. Elle est dans la salle des commandes d'un
vaisseau spatio-temporel perdu parmi l'éther sans oiseau à
la vitesse du son.
De l'autre côté de
la vitre, de toutes parts, les sorties d'enceinte par paires font écho
démultiplié aux lunettes noires qui donnent des yeux de mouche
à la diva.
Elle ôte une mitaine faufilée
d'argent, passe derrière, brassant typiquement, en coup de vent,
sa chasuble, vers le sas où elle disparaît.
Finalement, on redéfait la
cymbale, «ça emmerde plutôt qu'autre chose». Et
l'on en revient à la batterie synthétique de l'intro, FM
basique que transmue le timbre de «la longue dame brune» qui
«jamais n'abandonne».
Tout d'elle est curieux. Son port
de tête par exemple. Elle tire le menton, le nez se redresse, entre
Gainsbourg posant dos au mur et Proust au jeu de paume, pour la postérité.
Elle c'est pour rien, le style. La main, le bras, la jambe, le ventre même,
rebondi sous le tissu, le pied, comme il tourne, sont stylisés,
découpés dans l'air. Et la parole.
Entre Brigitte Fontaine et André
Gide au piano avec Chopin, quittant le son des enceintes, Barbara écoute
au «petit poste», pour le test-vérité. Après
Le jour se lève, elle suggère: «Je creuserais un tout
petit peu...»
Plus tard, elle insiste, à
l'oreille du mixeur, qu'il faudrait un dixième de voix encore: «Tu
vas voir, tu vas retrouver de la couleur. Sinon, elle perd de la brillance,
alors que tu lui en avais donné...»
On «creuse» donc la
batterie.
Barbara: «Je ne comprends
pas, quoi, quoi, quoi...» Puis: «Je verrais de remonter pas
remonter... Il y a un rien de coloration... Tu vas voir, sur le squelette...»
Elle a gain de cause, donne un gentil coup de poing (mitaine) à
Thierry, quand il admet que «c'est bien». La voix là-haut
fait: «Elle t'aimera comme tu l'aimes.»
Un instant, la diva hausse ses grosses
lunettes noires sur son nez. Elle sourit, apaisée, assurée
que tout marche à souhait.
Au visiteur: «On est un peu
nerveux, on termine demain. Enervés de bonheur et d'angoisse, mais
c'est bien...»
Elle tousse, se couvrant la bouche
du livret de Vivant poème.
Peu de mots, pas de bavardage, mais
aucune tension.
Elle nous tient les mains. Très
digne d'amour. On voudrait avoir encore dix-sept ans, pour croire à
quelque chose, à cette voix de camarde courtoise.
En s'écoutant, elle mime
instinctivement le chant, l'appel du noir, le chantant comme de l'intérieur.
Elle s'allonge, baignée de lumière noire; sa voix, le mystère
de sa voix étendu devant nous. Gisante.
Le play-back cesse, elle se déconcentre,
la tension se relâche. C'est qu'au fond, vidée de son prétexte,
tout cet habillage rock peut-être un peu vulgaire, elle s'éteint.
Avec la voix dessus, c'est idéalisé; sans, rien.
Les paumes dressées, en pinces
ou offrande, elle se les passe en descendant sur le visage, les joues qu'elles
creusent, toujours à deux doigts de l'extatique.
Interlude Zan. Elle produit une
minuscule boîte de fer noire: «Vous en voulez? Oui...
Voilà.» Elle tend la boîte, «pour votre amie»;
la retient, «Vous ne faites pas de tension?! Euh. Ça
fera une relique. Pfff...»
Elle dit que personne n'est entré
ici, dans l'espace de cette pièce immense, avec ces deux pianos
à queue, ces structures comme d'une toile d'araignée métallique,
au cœur de laquelle elle règne: «Pas la peine de se blesser.
C'est déjà assez comme ça.»
Ailleurs: «Quand on rentre
en studio après seize ans d'absence, on se dit... Et puis finalement.
Ce sont les mots qui ont changé. "Technologie"... "de pointe"...
Mais un souffle ,c'est un souffle. D'ailleurs, il faut parfois "du souffle".»
«Excusez-moi de bouger comme
ça, c'est de l'asthme.»
Un proche: «Un an. Deux mois
de studio, et dix-neuf mois. Il y a eu une semaine mystérieuse,
où B. a disparu, on lui envoyait les bandes à l'hôpital.»
B. revenue comme de loin: «C'est
bien, je suis heureuse. Approchez-vous.»
Elle nous touche. «Je ne vous
vois pas.» Puis: «Un album, bien sûr, ce n'est pas...
devant l'éternité... Mais...»
Diversion: «Vous avez vu le
beau studio. Venez.»
C'est une abside, un peu comme tous
les studios, ces sanctuaires, avec leur autel (la console), leurs rites,
leurs chants, spécialement ici, sous ces plafonds lyriquement traversés
de poutrelles de fer entrecroisées, au cœur du vaste hall vide boisé.
«La voix? C'est facile, ça.
C'est le plus facile...»
La séduction. Barbara est
une amante, désespérée mais assez prodigieuse, corps
de sylphide ventrue. Elle pose ses deux mains légères sur
nos bras, redisant follement des choses tendres, et à travers nous
c'est le lecteur que Barbara aime, ou vice versa.
Autre jour.
Le samedi 12 octobre 1996 à
13 heures, on songe, depuis l'aube, à l'image «sublime»
que ferait Barbara «au soleil noir de la mélancolie»
de l'éclipse annoncée. Le temps de courir après un
photographe, les uns, les autres, de joindre puis rejoindre Suresnes...
et finalement elle refuse de sortir, pour la séance de spiritisme
à contre-jour, du studio où elle se cloître, phalène
médiumnique en lunettes de soleil de plongée.
«C'était une idée
fantastique, mais je ne veux pas sortir du studio. Si je sors, je sens
que je vais m'allonger. Aujourd'hui, c'est moi l'éclipse du soleil.»
Une atmosphère magnétique
commotionne Paris cette après-midi-là. Fournaise, air de
fer blanc, on est un de ces jours lunatiques de vent d'autan venu des déserts,
jour de cendre, à Lexomil.
Dedans, dans la nuit propice, «où
il nous semble que l'on dialogue avec les anges» s'évanouit
dans les airs. Barbara vient de refaire les voix de John Parker Lee, «l'homme
qui dansait sa vie».
Survenant, s'asseyant: «Ne
me regarde pas, je viens de chanter.» Elle a les cheveux détrempés,
s'emmitoufle. «Comment va ton amie qui souffre de l'asthme...?»
Devant le petit buffet, sur la vaste
table qu'elle a fait dresser: «Pourquoi ils ne vous ont pas donné
des ciseaux?» (pour couper les rubans des petits fours Lenôtre).
Elle reparle de la maladie. En fond sonore, sabots et hennissements crépitant
dans l'orage, passage d'orgue de circonstance.
Elle disparaît dans la salle
d'eau blanche. Puis resurgit, théâtralisante, n'arrête
pas de «passer». L'estrade flotte entre boîte de nuit
et chapelle ardente.
«C'est le dernier. C'est formidable.
Soixante-six ans, c'est rien, on s'en fout, mais j'ai fini ça. C'est
le dernier cri. Le dernier silence.» Un temps. «Le dernier
trait d'union.»
On reparle de l'éclipse,
et de Kaboul: «C'est terrible ce qui se passe dans le monde, vous
avez vu...» Sourires: elle-même à l'instant, dégoulinante,
a l'air d'une talibane enturbannée, des serviettes enserrant ses
cheveux punk. «Je retourne un peu et je reviens te voir...»
L'éclipse fait mal à
la tête, donne envie de fuir. «C'est vraiment bien notre rencontre...
Je peux venir près de vous?»
L'assistance, comme saisie par la
transe mystagogique, est à la recherche d'un «bout de chapeau
noir». Les murs répercutent une dernière fois des éclats
«de galaxie en galaxie». Une phrase d'elle s'y perd, sur le
bonheur d'«accomplir ce que vous étiez, de toute éternité,
votre rêve inconnu».
BAYON
«Un beau jour
ou peut-être une nuit»... La femme qui chante Récit
d'une carrière exceptionnelle commencée après guerre
au cabaret.
Le 26 novembre
1997
«Souvent, le sourire ou le
sanglot se trouvent au bout du souffle.»
Monique Serf, dite Barbara Celle
qui nia toujours avoir choisi cet unique prénom artistique en hommage
à la chanson de Prévert Rappelle-toi Barbara se nommait en
réalité Monique Serf, née à Paris le 9 juin
1930, près du square des Batignolles, dans le XVIIe arrondissement.
D'origine juive alsacienne, elle vivra son enfance au gré des déménagements
de ses parents, qui finissent par se fixer au Vésinet (Yvelines).
La guerre terminée, après avoir bien appris Schumann, Fauré
et Debussy, l'adolescente approfondit l'intérêt qu'elle porte
déjà à la chanson au contact de Madeleine Thomas,
qui lui enseigne le piano, le chant et le solfège. Inscrite au Conservatoire
de Paris en auditrice libre, Barbara s'émancipe comme mannequin-choriste
à Mogador, dans une opérette, Violettes impériales,
qui a pour vedette Marcel Merkès. Même modestement, sa carrière
de chanteuse est lancée et, début 1949, quand elle ne fait
pas la plonge pour subvenir à ses besoins, elle commence à
promener sa fine silhouette dans divers cabarets «rive gauche»
—Chez Moineau, la Rose rouge— en attendant l'Ecluse, quai des Grands-Augustins,
qui la recale une première fois.
Bruxelles. Paris ne voulant pas
d'elle, c'est à Bruxelles que Barbara part tenter sa chance. Elle
côtoie les acteurs de la scène culturelle locale et collectionne
les casquettes d'artiste, d'ouvreuse et de caissière au Cheval blanc,
dont l'existence éphémère lui permet au moins de recueillir
ses premiers vrais succès — entre un numéro d'illusionniste
et la prestation d'une pianiste classique. Elle s'y frotte aussi à
quelques morceaux d'anthologie de la chanson française, extraits
du répertoire d'Yvonne Guilbert ou de Félix Mayol. Son séjour
en Belgique lui offre encore l'occasion d'une première expérience
en studio, à Bruxelles, où elle enregistre Mon pote le gitan/l'Œillet
blanc, disque qui passe vite à la trappe.
L'Ecluse. De retour à Paris,
elle chante Brassens et Ferré au Moineau, mais surtout s'installe
pour de bon à l'Ecluse, d'abord à temps partiel, puis à
temps plein, de 1958 à 1964. Fruit d'un travail acharné,
à une époque où le principal vecteur de succès
est encore le bouche à oreille, c'est là que se situe le
point de départ de son ascension. Ainsi qu'elle ne manquera jamais
de le souligner, «il y avait dans ce lieu un amour, une poésie,
une vie, et grâce à ce noyau de gens qui m'ont aimée,
ce sont les soixante spectateurs de l'Ecluse qui m'ont menée au
chapiteau de Pantin».
Gravant dès avril 1958 un
autre disque pour la Voix de son maître (la firme au chien noir et
blanc au pied d'un gramophone), elle devient la «chanteuse de minuit».
Parallèlement à la notoriété qu'elle se forge
chaque soir sur les planches, elle prend régulièrement le
chemin des studios. Barbara sort ainsi deux disques, dévolus l'un
à Brassens et l'autre à Brel, et la télévision
ne tarde pas à lui faire les yeux doux. Denise Glaser, cheveu court
et costume noir, la reçoit dans un de ses Discorama, talk-show avant
l'heure auquel l'inconscient collectif prête encore aujourd'hui la
valeur de pierre angulaire de la statique ORTF.
Bobino. Le répertoire d'autrui
essoré, Barbara commence à voler de ses propres ailes en
1959, signant ses premières chansons. En 1961 elle écrit
Chapeau bas, en 1962 Dis, quand reviendras-tu? Un premier 33 tours vient
la conforter dans son statut de gloire montante; à un point tel
que de l'Ecluse il lui faut émigrer à Bobino, autre salle
incontournable des années 60, où elle se contente d'abord
de la fonction de vedette américaine pour Georges Brassens, quand
elle ne part pas en tournée avec un jeune artiste, Serge Gainsbourg.
Nous sommes en 1963 et Barbara ne
tarde pas à affirmer sa personnalité: le 14 mars 1965, alors
qu'on lui remet le prix de l'académie Charles Cros au palais d'Orsay
pour son album Barbara chante Barbara, elle déchire son diplôme
afin d'en partager les morceaux avec ses techniciens. Ça n'est pas
exactement qu'elle peut tout se permettre, mais année après
année, le nom de Barbara prend de plus en plus de signification
aux oreilles du public. Celui-ci, naturellement, ne manque pas d'ovationner
Ma plus belle histoire d'amour, que la chanteuse n'aura de cesse de lui
dédier —avec une emphase certainement plus empreinte de sincérité
que de démagogie— durant presque tous ses récitals; précisant
plus tard, comme pour se défendre de toute sophistication artificielle,
n'avoir «jamais répété un geste, ni (sa) façon
de (se) déplacer ou de chanter».
URSS. Unanimement saluée
comme une figure majeure de la chanson, Barbara traverse la seconde moitié
des années 60 sur un nuage. Quand Adamo, les Compagnons de la Chanson
ou Hugues Auffray démocratisent divers pans de la variété,
elle s'affiche dans une certaine tradition, somme toute intemporelle, qui
de Drouot à Nantes lui permet de sillonner l'Europe (Italie, URSS,
Belgique, Roumanie, Allemagne, où elle grave Barbara singt Barbara
zum ersten), le Canada et le Japon.
Olympia. Mais la France reste sa
terre d'élection et Paris son point d'ancrage. En janvier 1968,
le directeur d'Europe 1, Lucien Morisse, la convie à donner à
l'Olympia un récital que la station retransmet en direct. Elle revient
boulevard des Capucines un an plus tard pour une quinzaine de récitals,
au cours desquels Georges Moustaki la rejoint pour interpréter la
Longue Dame brune. Le point culminant de sa carrière, en termes
d'impact, se situe en 1970 avec l'Aigle noir, succès immédiat
qu'elle fait cependant co?ncider avec l'annonce d'adieux à la scène.
En guise d'adieux, il s'agit en réalité d'un au revoir qui
ne l'incite pas pour autant à renoncer à son intense activité
artistique, au théâtre (Madame, à la Renaissance, flop),
au cinéma (Franz, avec Brel qui, lui, a effectivement tourné
la page), et en studio, où ses albums (l'Aigle noir, les Amours
incestueuses) se doublent de collaborations ponctuelles, aux côtés
de Jean-Claude Brialy, William Sheller et même Johnny Hallyday le
temps d'un duo, Toi mon ombre.
Trois ans après sa simili-retraite,
Barbara reprend un rythme compulsif: une longue tournée internationale
s'achève en France. A peine installée en banlieue parisienne,
à Précy, dont le maire est désormais Yves Duteil (avec
qui elle n'entretiendra pas les meilleurs rapports), elle continue inlassablement
à se produire ici (Théâtre des Variétés,
Olympia) et ailleurs (Suisse, Japon...).
Une de ses dernières rencontres
«au sommet» a lieu en 1979, avec Gérard Depardieu. Ensemble,
ils présenteront sept ans plus tard le spectacle Lily Passion, mal
perçu par la critique, quelque peu boudé par le public. Nonobstant,
l'idolâtrie ne se dément pas. Quand les élus locaux
ne ratent pour rien au monde un de ses passages en province, l'Allemagne
lui remet un ordre du Mérite fédéral, et, bien que
fuyant le studio après 1980, Barbara continue, de façon beaucoup
plus erratique, à se produire; dans une fonction d'icône (gay,
notamment), comme lorsque Mikhail Baryshnikov la prie de chanter au Metropolitan
Opera de New York, tandis qu'il improvise une chorégraphie.
Châtelet. De plus en plus
discrète, Barbara effectue quand même un retour marquant en
1990, à Paris, sur la scène de Mogador. En récital,
sa voix n'est plus ce qu'elle était, mais sa simple présence
suffit à captiver un public toujours vibrant et respectueux. A la
suite de Sid'amour à mort, elle écrit quelques nouvelles
compositions auxquelles elle ne donne vie que sur scène, telles
que Gauguin (lettre à Jacques Brel), Rêveuses de parloir,
les Enfants de novembre et Vol de nuit. L'intégrale de sa carrière
commercialisée en 1992, elle se produit encore l'année suivante
au Théâtre du Châtelet, concerts nimbés d'émotion
durant lesquels l'assistance n'en finit pas de l'ovationner; d'autant que
l'annulation de plusieurs dates corroborent la rumeur de sérieux
soucis de santé, au point qu'elle ne peut finir le contrat qu'elle
avait engagé. Ce sera au demeurant la dernière fois qu'on
pourra apercevoir sur scène cette silhouette frêle sur laquelle
le poids des ans n'aura jamais eu apparemment la moindre prise. L'ultime
trace sonore de Barbara, qui aura traversé tous les supports, du
78 tours au laser, intervenant l'an dernier avec l'album Barbara, (auxquelles
ont collaboré Guillaume Depardieu et Jean-Louis Aubert). Un témoignage
à certains égards sépulcral, sur lequel la voix de
Barbara —en dépit d'un intense travail dans la claustration— trahissait
le fait qu'elle n'était plus tout à fait là, mais
dont l'intéressée s'expliquait par telle pirouette rhétoricienne
aux accents évanescents: «Si ma voix m'échappe, c'est
mon instrument même qui m'échappe, cela peut me donner quelquefois
une justesse approximative; pas juste, pas faux, autour... La difficulté
reste la nudité, où tout est suspendu et fragile. Le souffle
est un son magnifique. Souvent, le sourire ou le sanglot se trouvent au
bout du souffle.».
GILLES RENAULT
Une discrète
visiteuse de prison Son combat: la prévention du sida.
Le 26 novembre
1997
«Elle découpait les
informations, puis, chez elle, elle se mettait au courant des mystères
de la maladie. Enfin, elle arriva dans les prisons.»
Gilles Pialoux, médecin,
qui l'accompagnait auprès des détenus Gilles Pialoux est
médecin à l'hôpital de l'Institut Pasteur. A de multiples
reprises, à partir de 1989, il a accompagné Barbara dans
ses visites en prison. Elle chantait, avant que lui n'évoque le
sida, la prévention, le préservatif, etc. Un engagement rare
qu'elle a tenu jusqu'à ces derniers jours. Gilles Pialoux nous a
envoyé son témoignage.
«Le mot qui me vient, comme
ça, aujourd'hui, c'est "silence". Comme ce panneau à l'entrée
de l'escalier intérieur, à Précy, qui invitait le
visiteur à baisser le ton. Comme sa maison de Seine-et-Marne, repliée
sur son jardin sans bruits. L'objectif numéro un pour elle, c'était
d'apprendre le b.a.-ba de ce combat, puis d'entrer dans les prisons. Le
moyen? L'utiliser, elle, associée à un médecin spécialiste,
afin d'y porter les mots de la prévention.
«Elle avait une obsession:
être claire. Dès 1987, Barbara avait compris que les messages
de prévention contre le sida ne l'avaient pas été,
au point que l'on entendait tout et son contraire. "Et les moustiques?
Et le baiser? Et les rapports avec la bouche? Et la brosse à dents?"
Elle découpait les informations, puis à de nombreuses reprises,
chez elle, elle se mettait au courant des mystères de la maladie.
Enfin, elle arriva dans les prisons, flanquée d'un médecin,
moi en l'occurrence, et d'un musicien parfois. Elle chantait d'abord, puis
c'était le temps de l'information sida qu'elle ponctuait de ses
commentaires. Cela prenait toute une journée, à chaque fois
épuisante et pesante, surtout au moment de la remontée des
détenus et du départ. Elle répétait tout le
temps: "Je ne veux aucun journaliste à la sortie, parce qu'autrement
on ne rentrerait plus." Il y eut ainsi la prison des Baumettes, Loos-lès-Lille
à plusieurs reprises, la centrale de Poissy, Lyon, Fresnes, etc.
Parfois, nous nous trouvions dans une maison d'arrêt dans laquelle
la population pénale ne la connaissait pas. Trop jeune ou trop rap.
Comme à Fleury où une détenue lui réclama «le
Corbeau noir». Qu'importe, elle chantait, et cela s'envolait.
«Je me souviens de la centrale
de Poissy; le personnel pénitentiaire nous avait informés
qu'il avait failli annuler le spectacle par crainte d'une mutinerie. On
s'est retrouvés dans une salle exigu?, cinq heures durant, avec
les détenus, isolés du reste de la prison. Tout fonctionna,
elle tutoya la violence du lieu, son relatif délabrement, le tout
dans un incroyable respect. Et autant de silence. Des questions sur le
sida, il y en a eu jusqu'à l'extinction des feux. Côté
silence, il y eut encore la maison d'arrêt des femmes de Fresnes.
Comme d'habitude, de longues minutes sans mots suivaient nos interventions,
puis d'un coup le silence s'était trouvé brisé par
un prélude de Chopin qu'un gardien installé au piano à
queue loué pour l'occasion avait joué pour elle.
«Outre les prisons, Barbara
avait souhaité entrer dans les hôpitaux. Elle le fit à
l'hôpital Bichat durant de longs mois. Des visites discrètes,
silencieuses. Il y eut aussi cette ligne de téléphone pour
les malades, les lettres de malades qu'elle recevait par centaines, les
visites à Bichat, à Beaujon, à Pasteur, comme ailleurs.
Mais aussi les soutiens en silence à Act Up, à Sol en Si,
et à tant d'autres associations.».
En politique, l'hymne
à la rose En 1981, une chanson-manifeste pour Mitterrand.
Le 26 novembre
1997
Forcément, elle était
aussi un personnage politique. A tout le moins au sens où ses réactions
et engagements épidermiques face aux maux subis (maladie) ou provoqués
(guerres) ne pouvaient se concevoir sans quelque intime conviction. Barbara
aura entériné son ancrage à gauche que devait
raisonnablement attendre une bonne partie de son public lors de l'avènement
de François Mitterrand, pour qui elle écrit en 1981 la chanson
enflammée Regarde: «Regarde/ Sous ce ciel déchiré/
Tout s'est ensoleillé/ C'est indéfinissable/ Un homme/ Une
rose à la main/ A ouvert le chemin/ Vers un autre demain... Regarde/
Au ciel de notre histoire/ Une rose, à nos mémoires/ Dessine
le mot ESPOIR...»
Deuxième geste fort, au nouveau
Président qui vient l'applaudir quelques mois plus tard à
Pantin, elle offre une rose rouge. Comme pour bien sceller l'idylle politico-artistique,
François Mitterrand demande à ce qu'on diffuse en générique
d'un entretien télévisé la chanson qu'il préfère,
Gottingen. La sympathie affichée ne s'arrête pas là,
puisque le 22 décembre 1982, Jack Lang, alors ministre de la Culture,
lui remet à l'Opéra de Paris le grand prix national de la
chanson. Plus tard, Barbara ajoute un nouveau nom à sa longue liste
de collaborations, celui de Jacques Attali (l'éminence grise du
Président), qui lui écrit sur une musique de Schubert la
chanson Coline. Au dernier vers en forme d'épitaphe: «J'entends
ton rire qui s'en va lent...».
G.R.
Chanson de gestes
sur les scènes
Elle tendait
les mains vers son public, se cassait en deux sur son piano... A la fois
spontanée et précise.
Le 26 novembre
1997
Entrer côté cour, entrer
côté jardin? Barbara avait trouvé une issue. Elle arrivait
brusquement du milieu du fond de la scène, entrouvrant brutalement
un rideau pour foncer vers le public, paumes en avant. Si on lui disait
que la pose avait quelque chose de mystique, celle d'une stigmatisée,
elle répondait que non, que les paumes en avant c'était le
moyen qu'elle avait trouvé pour offrir le mieux ses mains au public.
On aura beaucoup parlé de messe à propos des spectacles de
Barbara —c'est vrai que le public s'y comportait comme à une liturgie.
Se levant, s'asseyant à tout bout de champ: avec Barbara, les rappels
commençaient dès la troisième chanson.
Méticuleuse. Avant d'être
une messe, Barbara, en spectacle, c'était d'abord le théâtre
complet du grand music-hall. La chanson, la voix s'y habillaient de toutes
les couleurs de l'artifice; sa précision méticuleuse l'apparentait
à une Marlene. Elle exigeait les meilleurs: pour elle, Jacques Rouveyrollis
(avouant «avec une bougie, elle serait aussi formidable») inventait
à chaque fois des jeux différents de lumières (lire
ci-contre). Elle a eu, pour l'accompagner, les meilleurs arrangeurs, les
meilleurs musiciens.
Animal blessé.Elle se mettait
presque en colère quand on lui demandait si, comme Montand, elle
étudiait ses gestes devant une glace. Un geste naissait, spontané,
en scène, elle le gardait. A la fin de sa chanson sur le sida, elle
se mettait à tourner autour de son piano, comme une sorte d'animal
blessé; plus tard, elle se renversait en deux sur l'instrument.
Elle, à qui les médecins
avaient interdit de monter sur scène, disait qu'en se voyant en
photo, renversée de la sorte, elle était assurée que,
dans la vie réelle, elle ne pourrait jamais effectuer un tel mouvement.
Il y allait d'une sorte de transe.
Pierrot de lune obscure, grand papillon
noir, elle avait quelque chose des grandes figures modern' style, une Sarah
Bernhardt, une Ida Rubinstein dansant le Martyre de Saint-Sébastien.
Un pied de nez au bon goût et aux convenances assez rare, étayé
par un travail impitoyable. Travailler avec elle, c'était sans cesse
voir le lendemain le travail de la veille repris à zéro.
Ses intuitions n'étaient jamais des caprices.
Le succès lui sera venu sur
le tard, on l'oublie trop, l'année même où elle avait
décidé d'arrêter si le public continuait à ne
pas vouloir d'elle. Mais, en vieillissant, elle connut la vraie récompense
des artistes: voir l'âge de leur public rajeunir. Beaucoup de jeunes
—combien d'adolescences se sont passées en écoutant Barbara—
l'idolâtraient.
Tapis de roses. Le soir de sa première
au Châtelet en 1993, ses jeunes fans avait déroulé
un tapis de roses entre la sortie des artistes et l'hôtel tout proche
où elle avait pris une chambre. Elle les appelaient, «mes
fragiles», sachant qu'ils reconnaissaient en elle une fêlure
partagée... Les terribles souvenirs d'enfance et de persécution
pouvaient remonter, comme quand on lui révéla que Georgius,
l'auteur de La plus bath des javas , qu'elle reprenait à Mogador,
était antisémite. Geste de saisir son téléphone
pour imiter un corbeau de ces temps-là: «Allô? A côté,
il y a une famille qui...»
La rencontrer en dehors de la scène,
c'était vérifier ses pouvoirs d'illusionniste: la Barbara
fleur longiligne était une illusion qu'elle avait su créer.
Devant vous, il n'y avait plus qu'une dame un peu replète, vous
écrasant contre sa poitrine de cantatrice, en voulant absolument
vous faire manger les petits gâteaux dont elle se privait. Sa maison
de Précy-sur-Marne était tout sauf une cage pour fleur vénéneuse:
une jolie bicoque regorgeant d'un bric-à-brac surréaliste
-- des peintures au mur, des photos, une affiche d'Yvette Guilbert; Barbara
savait d'où elle venait et aimait parler de ses devancières,
Guilbert, Yvonne Georges ou Marianne Oswald, «cette rockeuse».
Générosité.
Par la brèche, on apprenait que ses engagements, dans les prisons
ou contre le sida, n'étaient pas une posture. Un ami photographe
vous racontait l'avoir vue se présenter dans sa chambre d'hôpital,
lui avoir fait la causette un moment, et être repartie en lui laissant
deux chèques, l'un pour un nouvel appareil, l'autre pour un voyage
au Maroc.
Humour. Si on lui parlait de ça,
elle demandait le secret: «Sinon, je ne pourrai plus le faire.»
Et elle enchaînait, avec un brin d'orgueil: «Jamais je ne suis
entrée dans une chambre sans demander l'autorisation.»
Comment oublier, aux Francofolies,
ce concert où, installée dans un rocking-chair, elle se mit,
entre ses deux chansons, à chapitrer son public adolescent au sujet
du préservatif: «Vous allez me faire plaisir, vous allez me
les mettre.» Car, en prime, il y avait cette dimension, tant sur
scène qu'à la ville: un formidable humour .
HELENE HAZERA
Souvenirs d'éclats
de rire Depuis 1977, Jacques Rouveyrollis réglait ses lumières.
«J'ai reçu un coup
de fil de Charley Marouani, son agent, et on s'est rencontrés lors
d'un gala à Saint-Denis, en 1977. C'était une rigolote...
Jusque-là, ses lumières étaient très noires.
Elle me dit: «Je manque de chaleur dans le dos.» J'ai réglé
les lumières de sa tournée suivante, trois quatre mois après,
et nous avons commencé à travailler pour le spectacle de
Pantin de 1981. J'avais carte blanche. On a passé des après-midi
entières à écouter ses chansons, à en parler.
Elle faisait livrer des tartes aux poires. On discutait en regardant Candy,
un dessin animé japonais... Au télé-phone, quand on
s'appelait, on se donnait des nouvelles de Candy.
Elle répétait beaucoup
avec ses musiciens; pour les éclairages, on essayait deux ou trois
trucs, mais ça allait vite. Elle était là dès
10 heures du matin, à l'ouverture des portes du camion, et jusqu'à
18 heures, ce n'était que plaisanteries sur le travail. Elle était
très sévère, tout en adorant la dérision.
J'ai eu une petite altercation avec
elle au sujet d'un cyclo (une sorte d'écran blanc que l'on met sur
scène, ndlr). Elle m'avait dit: «Non, je suis tout en noir.»
J'ai réussi à la convaincre. Pour Vol de nuit, j'avais mis
un stroboscope dans la coulisse, pour rendre l'effet de flash intermittent
qu'on perçoit en vol. Elle avait ri: «Tu me prends pour Johnny...»
Elle est venue voir l'effet depuis la salle, ça lui convenait. Mais
en tournée, j'avais oublié de mettre le stroboscope sur la
liste. Alors elle avait lancé: «Il est où mon stroboscope!»
Pour Nantes , j'avais juste placé
un projecteur derrière elle, pour un effet de contre-jour. Chaque
fois que j'éclaire des chansons sur des êtres chers qui sont
morts, je n'aime pas mettre des visages. Je voulais toujours qu'elle interprète
cette chanson, elle me disait: «Tu me casses les pieds avec ton Nantes!»
Elle pouvait improviser, en dialoguant
avec le public par exemple. Je l'ai vue arrêter le spectacle parce
que des gens la prenaient au flash: «Ne prenez pas de photos, vous
allez faire peur aux petits enfants avec mon nez.» Au dernier Châtelet,
elle s'est mise à engueuler le public parce que certains jouaient
à gonfler les capotes qu'on leur avait distribuées. Mais
pour ses déplacements, sur scène, elle était très
respectueuse, jamais rien qui aurait pu surprendre l'équipe. Sur
scène, c'était un derviche!
Pour le dernier Châtelet,
elle me dit: «Chéri, j'ai une idée pour le final. on
va faire tomber des papillons noirs des cintres.» J'ai fait le contraire:
j'ai tout retiré de la scène, j'ai enlevé les rideaux,
les pendrillons noirs, pour que les rappels se déroulent entre elle
et les gens. La première fois, on a vu le pompier de service tout
au fond, gêné, il est sorti. Elle a insisté pour qu'il
reste. Peu d'artistes peuvent assumer une chose pareille.
Jamais je n'ai souffert avec elle.
Quand elle m'en voulait pour quelque chose, elle me vouvoyait. Quand elle
me tutoyait à nouveau, je savais que tout allait bien.
Je l'ai eue au téléphone
il y a cinq jours; elle voulait que j'aille la voir à Précy-sur-Marne.
«Vite, l'automne est magnifique, le jardin est plein de couleurs
superbes.» .
Recueilli par H.H.
La voix, de la flûte
classique au saxo hot A la fois chanteuse lyrique et diseuse de mots, elle
avait trouvé son timbre en écrivant ses paroles.
Le 26 novembre
1997
Quand Seghers réunit ses chansons
en volume, elle tint à préciser dans ses interviews: «Je
ne suis pas poète.» La voix des tout premiers enregistrements
de Barbara garde l'empreinte de son éducation lyrique: haute, légère,
flûtée, d'une époque où les cantatrices soignaient
leur articulation. On imagine sans peine qu'elle ait pu trouver place dans
une opérette comme Violettes impériales.
Très vite, elle sait faire
un compromis entre la voix de chanteuse, toute à filer les notes,
et celle de diseuse qui appuie sur une consonne, détache une syllabe,
fait valser les mots à la cravache. On se la rappelle, cinglante,
chanter «les ra, les ra, les rapaces» appuyant sur les premiers
«ra», glissant sur le dernier pour marteler «paces»...
D'une diseuse comme Yvette Guilbert,
elle avait appris le travail du souffle qui permet d'enjamber les vers,
d'insuffler un rythme aux mots. Même parenté dans la rosserie,
dans l'audace d'être inconvenante, méchante voire cruelle
en scène. Elle admirait Edith Piaf, avait repris quelques chansons
de son répertoire (pas très connues, à son habitude).
Mais quand Piaf chantait du ventre, Barbara chantait plus haut, comme une
idée de distinction. Comme des devancières moins connues,
qu'elle connaissait et admirait, l'«intellectuelle» Agnès
Capri (qui créa Quand tu dors, qu'elle reprit), et Nicole Louvier,
première chanteuse-auteur-compositeur.
Avec l'âge, avec leur corps,
les voix des femmes changent. Peu à peu, Barbara a senti la clarté
de son timbre attaquée. Il y eut un moment pénible où,
disait-elle, elle chantait en cherchant des aigus qui n'étaient
plus là. Ces dernières années, elle assumait le changement.
Rien à voir avec la flûte classique du début, on était
devant un saxophone expressionniste avec même des inflexions jazzy.
Il fallait entendre toutes les nuances graves d'arrachement qu'elle pouvait
mettre dans le mot «désespoir», la façon dont
elle faisait retentir: «J'en ai assez de vos violences de Perlimpinpin.»
Elle disait que c'était en
trouvant ses mots qu'elle avait trouvé sa voix, à partir
du moment où elle s'est mise à écrire ses propres
chansons et qu'elle a enfin rencontré le public. De 1962 à
1967, alors que la vague yéyé devient raz de marée,
elle continue dans son style, imperturbable, et signe des titres devenus
des classiques: Dis, quand reviendras-tu? Nantes, Attendez que ma joie
revienne, A mourir pour mourir, Au Bois de Saint-Amand, Pierre..., la Solitude,
Gottingen, le Mal de vivre, Une petite cantate, Si la photo est bonne,
Ma plus belle histoire d'amour. Certaines chanteuses mettent une vie à
constituer un tel répertoire, elle l'a fait en deux trois ans. En
collaborant avec d'autres musiciens, d'autres paroliers, toujours prête
à recevoir un apport extérieur. Quand Seghers réunit
ses chansons en volume, elle tint à préciser dans ses interviews:
«Je ne suis pas poète.» Barbara écrivait des
chansons, et les lire à froid c'est lire un dialogue de film sans
en voir les images. Sa personnalité les habitait avec une telle
démesure que très peu ont osé les reprendre... Mais
tout le monde les fredonnera pour longtemps, en gardant une Barbara au
fond de soi .
HÉLENE HAZERA
Disques choisis
1957. Premier 78 tours (Decca),
enregistré en Belgique: Mon pote le Gitan/l'Œillet blanc.
1962. Enregistrement d'un 45 tours
(Odéon) quatre titres sur lequel figure Dis quand reviendras-tu?
1964. Sortie de son premier 33 tours
(Philips), Barbara chante Barbara (Pierre, Nantes, Chapeau bas, Au bois
de Saint-Amand...).
1967. Enregistrement à Hambourg
de Barbara singt..., traduction en allemand de ses chansons.
1970. L'Aigle noir (Philips), avec
des orchestrations de Michel Colombier (Amoureuse, Drouot, Au revoir).
1972. Amours incestueuses (Philips)
(Rémusat, Perlimpinpin).
1973. La Louve (Philips), orchestré
par William Sheller. (Marienbad)
1981. Seule (Philips), orchestré
par Michel Colombier (La mort, Mr Victor).
Récital Pantin 81, album
live, double disque d'or.
1992. Une intégrale Barbara,
Ma plus belle histoire d'amour... c'est vous (PolyGram), réunit
en treize CD l'ensemble de sa carrière.
1994. L'album Châtelet 1993,
enregistré en public, double disque d'or
1996. Après seize ans d'absence
des studios, sortie de Barbara (Mercury), son dernier album (Il me revient
en mémoire), 300 000 exemplaires, meilleure vente avec L'Aigle noir
et son premier 33 T.
A l'absente Réactions.
Le 26 novembre
1997
Act Up. «[...] Barbara a été
la seule à nous soutenir sans faille, sans réserve et sans
interruption. [...] Avec nous, elle se battait pour les prisonniers, les
étrangers, les homosexuels, les prostitué(e) s, les toxicomanes.
[...] C'est à la fois une figure de la culture gay et lesbienne
ainsi qu'un modèle singulier d'engagement sans concession dans la
lutte contre le sida que nous perdons.»
Georges Moustaki. «La nouvelle
m'a surpris et m'a vraiment assommé. Et puis, en même temps,
j'aurais dû savoir qu'elle n'allait pas bien. C'est un sentiment
qu'on a, quand quelqu'un disparaît, d'impuissance, d'accablement.»
Serge Reggiani. «J'ai beaucoup
appris de Barbara. C'était un lyrisme moderne, c'était très
beau [...] elle était merveilleuse et irremplaçable.»
Juliette Gréco. «C'était
une personne indispensable, c'était une personne éminemment
utile, et c'était quelqu'un de gai, d'heureux, de généreux
et de joyeux. Elle reste vivante et le restera très longtemps, elle
le restera aussi longtemps que nous l'aimerons. [...] Donc on continue,
elle n'est pas morte, elle n'est pas là, elle s'est absentée.»
Etienne Daho. «J'ai toujours
adoré Barbara, ça a commencé avec Au bois de Saint-Amand,
j'ai dû la voir 25 fois sur scène. Tout ce que j'aimais dans
le rock, je le retrouvais chez elle.»
Jacques Chirac. «Elle était
le talent, l'intensité, le don de soi au public, la passion, passion
des mots et des rythmes, mais aussi passion tout court. [...] Sa voix nous
manque déjà.»
Lionel Jospin. «[...] Je faisais
partie de ses admirateurs, comme beaucoup de Françaises et de Français.
[...] J'ai été frappé à travers le temps par
le fait qu'une femme dont la voix était si singulière, les
textes si exigeants, la personnalité si originale, et que rien peut-être
ne prédisposait à avoir un succès immense, a été
en même temps une chanteuse populaire.»
Catherine Trautmann. «Une
de nos plus belles histoires d'amour, c'est Barbara», a déclaré
la ministre de la Culture qui dit éprouver «une profonde tristesse».
«La chanson française perd une voix unique, reconnaissable
aux premiers accents, une présence mystérieuse qui savait
pourtant se faire si proche [...]. L'ardeur et la passion de cette femme,
attentive aux blessures de la vie et aux justes causes, habitaient totalement
son univers artistique.»
LE MONDE 27 nov.
Jeudi 27 novembre 1997
L'amour à
mort de la "femme-piano" Véronique Mortaigne
BARBARA meurt, un pan de vie s'écroule,
l'adolescence de trois générations de jeunes filles, les
repères identitaires de trois générations de garçons.
Barbara, la "femme-piano", aimée par son public avec la passion
des amants, était un maillon central de la chaîne de la chanson
française, une des rares pour qui, dans les années 60, la
jeunesse boudait Sylvie Vartan ou Johnny Hallyday pour écouter Dis,
quand reviendras-tu. Mutante, démodée, visionnaire, la chanteuse
en noir aimait la vie, qui était devant, et la mort autant.
Jeune fille espiègle aux cheveux
coupés à la garçonne planquée derrière
un piano, elle donna davantage d'âme à un ancien bistrot de
mariniers du quai des Grands-Augustins, l'Ecluse. Elle fut ensuite l'une
des rares représentantes de la chanson rive gauche à survivre
pleinement aux assauts de la musique pop.
Excentrique à turban et lunettes
noires, abusive, enfant poussée à la sauvage dans le square
des Batignolles, elle débusqua la féminité dans les
noirceurs de l'hystérie, façon Charcot. Dame vieillissante
dans un rocking chair, elle resta jusqu'au bout accrochée à
son mystère, son tricot, ses soies et ses coussins. "La chanteuse
ne s'était jamais mariée", concluait une dépêche
d'agence publiée au matin de sa mort, comme s'il n'y avait rien
de plus à dire.
Barbara était un mythe, attachée
à ses images comme on traîne ses casseroles, parfois encombrantes,
mais vitales. Barbara décrivait les sentiments du désir,
parlait de l'amour et de la séparation. Elle dessinait les contours
d'une sexualité mythologique - L'Aigle noir, ou le sexe avant de
l'avoir vécu. Taillée en angles aigus, enveloppée
de châles, de dentelles et de discrétion, Barbara était
rentrée en retraite à Précy en 1973, quatre ans après
avoir lancé, depuis la scène de l'Olympia où elle
triomphait : "Je pars."
A Précy, elle cultivait l'art d'être
présente sans apparaître, avec pour compagnons un piano et
des chats. De loin, mais de si près, c'est de là qu'elle
entretenait le cercle de ses intimes - ces centaines de milliers d'inconditionnels
en quête d'absolu.
Tous ceux qui louaient des places pour
la première, la dernière, le récital du milieu, celui
de l'avant-fin et de l'après-début sans s'en lasser jamais,
l'avaient acclamée à l'hippodrome de Pantin en 1981, car,
bien sûr, ses adieux à l'Olympia étaient faux.
Barbara, dans son époque Rive gauche,
fut d'abord une grande interprète. Elle bâtit les bases de
son succès sur une grande connaissance du patrimoine, et elle l'enseignait
: beaucoup ont découvert Yvette Guilbert à travers elle,
dans cette interprétation pointue et guillerette qu'elle livrait
du Fiacre. De Vincent Scotto, elle chantait les coquins et scatos Petits
gâteaux. De Fragson, Les Licencieux Amis de Monsieur : avant que
ne domine la loi de l'auteur-compositeur et interprète, elle fut
l'héritière des diseuses de la fin du siècle. Elle
sut construire un répertoire. De Brel, et mieux que lui, elle chantait
Il nous faut regarder. De Brassens, La Femme d'Hector, dans un accéléré
pointu. L'actualité était là, béante, à
ses pieds.
A ce titre, Barbara est un exemple. Véronique
Sanson, Dominique A, Jean-Louis Murat, Arielle, et toute la jeune génération
qui la redécouverte depuis dix ans ont encore à apprendre
de cet art d'entretenir le mythe.
Elle vécut d'abord sa vie dans
les poèmes des autres, avant de forger les siens à l'aune
du temps perdu, des printemps qui s'enfuient, des hantises et du deuil,
comme facteur de renaissance. Dans les années du boom économique,
celles de la modernité à l'américaine, de la légèreté
yéyé chantée en anglais yaourt, Barbara nous enseigne
qu'il faut continuer, de Nantes à Göttingen, à pleurer
ses morts. Que c'est là la voie de la rédemption. Ce deuil,
à la veille de la grande émancipation féministe, installée
entre Le Deuxième Sexe de Simone de Beauvoir et Le Vrai Jardin d'Hélène
Cixous, est aussi celui que portent les femmes en elle, et que, prêtresse
vêtue de noir, sa couleur, celle de Piaf ou de Gréco également,
qui, disait-elle, "n'est pas triste", elle entendait exorciser : le deuil
du monde, de la réussite, de la sexualité.
Barbara avait des visions elle était
habitée, possédée. Elle s'était rendue populaire
en chantant les grandes douleurs, Nantes, par exemple, à la mort
de son père, avec cette voix si aérienne, si tranchante qu'elle
rappelait l'intransigeance de l'adolescence, son envie de jouir de tout,
de tout brûler, la vie comprise ( "A mourir pour mourir, je préfère
l'âge tendre"). Des hommes, Barbara avait une vision singulière,
mais bien ancrée dans son époque : "Ils marchent le regard
fier/Mes hommes/Moi devant/Eux derrière". Légère,
tolérante et possessive, Barbara leur confie le soin de lui bâtir
des forteresses pour la protéger, des lits de paix dans des prairies
fleuries. Femme de l'ère de la libération sexuelle, et en
même temps si démodée, elle est au-dessus de tout cela.
Mais elle en a besoin.
LA MYTHOLOGIE DE LA SCÈNE
Exemplaire également, le don de
Barbara à entretenir la mythologie de la scène : ses superstitions,
le trac, les trucs, entrée et sortie de scène, jeux de mains
baguées, envolées graciles du corps. Barbara arrivait chez
elle - dans sa loge -, avec beaucoup d'avance, une semaine, des heures,
elle s'y installait, l'ornait de fleurs, y invitait ses amis, respirait
l'air du théâtre qu'elle allait consommer le soir. Sorte de
Sarah Bernhardt anachronique, Barbara a pourtant profité, autant
que Dalida, des balbutiements de la télévision. Elle fascinait.
Pour elle, en 1963, Denise Glaser, trichant par admiration, avait fabriqué
une fausse pochette de disque, Nantes. Le piège fonctionna. Captif,
le public ne quitta plus cette Barbara qui fréquentait les lieux
de mémoire, hôtels des ventes, prisons, hôpitaux, à
la façon d'un Jean Genet apaisé et violent.
Un jour, aux Francofolies de La Rochelle,
habillée de cette drôle de tenue de sauterelle, mi-robe, mi-pantalon
pat-d'eph, dont elle disait qu'elle ne la lavait jamais, elle s'était
assise sur une enceinte : "Les enfants ont amené leurs parents qui
ne m'aimaient pas beaucoup, et bientôt ces enfants ont eu des enfants,
disait-elle. Voici maintenant les petits-enfants avec leurs grands-mères."
Qu'avait-elle à leur dire ? "Les capotes, vous allez me les acheter
et vous allez me les mettre." Car depuis 1987, année où elle
avait composé Sid'amour, Barbara avait fait sien le combat contre
le sida. En 1993, lors de son dernier récital au Châtelet,
Barbara dansait à pas glissés, nerveux, sans réplique,
et chantait en conséquence : vite, en pleine course, juste arrêtée
par le cercle lumineux de la poursuite. Elle distribuait les préservatifs
par cartons, vendait des rubans rouges de la solidarité.
En novembre 1996, sortait, après
seize ans sans chansons nouvelles, l'album Barbara. Avec Jean-Louis Aubert,
d'une voix désormais sans moyens, elle décrivait les couloirs
de l'hôpital, où il y a "des anges qui se déplient/Qui
se déploient/Disparaissent derrière les portes". Elle avait
légué à Act Up les droits de cette chanson, Le Couloir.
La mort, pour Barbara, était la face cachée de la vie. Elle
avait l'entrain un peu vachard de la Gaule profonde, faisant siens ces
vers ( Veuve de guerre, de Cuvelier et Bischoff) : "Si ça devait
arriver/ C'est que ça devait arriver/ ... Il faut bien qu'on vive/Il
faut bien qu'on boive/Il faut bien qu'on aime/Il faut bien qu'on meure."
Mercredi 26 novembre
1997
Barbara est
morte
LA CHANTEUSE Barbara est morte dans la
nuit du lundi 24 au mardi 25 novembre, à l'Hôpital américain
de Paris (Neuilly-sur-Seine), des suites d'un choc toxi-infectieux. Elle
avait été transportée quelques heures auparavant dans
l'établissement hospitalier par les sapeurs-pompiers de Claye-Souilly
(Seine-et-Marne), la localité voisine de Précy-sur-Marne,
où elle résidait depuis une vingtaine d'années. Elle
était âgée de soixante-sept ans.
L'une des grandes figures de la chanson
française, Barbara avait débuté à L'Ecluse,
un cabaret parisien, avant d'acquérir une célébrité
internationale.
C U L T U R E Dossier
CHANSON
Barbara est morte dans la nuit du
lundi 24 au mardi 25 novembre à l'Hôpital américain
de Paris (Neuilly-sur-Seine), à l'âge de soixante-sept ans.
Elle y avait été transportée la nuit précédente
après avoir été victime d'un accident toxico-respiratoire
à Précy-sur-Marne (Seine-et-Marne), où elle habitait
depuis une vingtaine d'années.
DEPUIS LES ANNÉES 60, elle
était l'une des grandes figures de la chanson française.
Elle était passée de L'Ecluse, ancien bistrot parisien de
mariniers, aux plus grandes salles, notamment Bobino et l'Olympia.
A PARTIR du milieu des années
70, Barbara retient un nouveau public souvent composé de fans absolus.
A chaque concert elle leur rechante "ma plus belle histoire d'amour c'est
vous", les prend symboliquement dans ses bras, tandis qu'ils allument leurs
briquets et la tiennent pour une sorte d'icône.
Barbara, la fin d'une grande histoire
d'amour
La chanteuse est morte à
l'Hôpital américain de Paris (Neuilly-sur-Seine), dans la
nuit du lundi 24 au mardi 25 novembre. Agée de soixante-sept ans,
elle avait débuté au milieu des années 50 sur les
scènes de cabaret
NOUVELLE GAZETTE
26 NOV. Sans toi, Barbara...
Barbara est morte lundi soir à
l'hôpital américain de Neuilly, où elle avait été
hospitalisée la veille. L'artiste, qui souffrait de sclérose
en plaques, est décédée des suites d'un «choc
toxi-infectieux foudroyant». Personnalité entière,
connue pour son indépendance farouche et son goût de la liberté,
Barbara, née Monique Serf le 9 juin 1930 à Paris, laisse
plusieurs «standards» à la chanson française
: Dis quand reviendras-tu? (1959), Nantes, Gottingen, Ma plus belle histoire
d'amour (1965), La dame brune (1968), L'aigle noir (1970). En 1996, elle
avait sorti son dernier album portant simplement le prénom qui l'avait
rendu célèbre, en France, mais également dans plusieurs
pays à l'étranger, où elle incarnait une certaine
tradition de la chanson française. Ce disque lui vaudra un an plus
tard une Victoire de la musique. Barbara se dédia pendant toute
sa vie à son art, sa vie privée dût-elle en pâtir.
«Je ne suis pas douée pour la vie à deux», avait
un jour confié
LE BIEN PUBLIC -
26 NOV.
BARBARA : UNE GENERATION
EN DEUIL DE "LA DAME EN NOIR".
La voix de Barbara, toujours entre cristal
et félure, s'est définitivement tue et toute une génération
y perd un peu de sa jeunesse. Dans le concert des hommages, les mêmes
mots reviennent : "discrétion", "liberté", "poésie",
"magie", "engagement". "La voix de Barbara nous manque déjà",
a déclaré le Président Jacques Chirac, relayé
par le Premier ministre Lionel Jospin qui a parlé de son "grand
talent" et sa "voix si singulière". Le ministre de la Culture Catherine
Trautmann a souligné "l'ardeur et la passion de cette femme, attentive
aux blessures de la vie et aux justes causes", évoquant notamment
son engagement contre le Sida. Dans le milieu du spectacle, le chanteur
Yves Duteil, également maire de la commune de Précy-sur-Marne
où résidait Barbara, s'est souvenu d'une femme "extrêmement
généreuse" et "très-très discrète".
Georges Moustaki, qui avait chanté avec Barbara l'inoubliable "longue
dame brune", s'est dit "assommé" par la nouvelle. A noter que dans
l'ensemble de la France la plupart des quotidiens réservent ce matin
leurs titres de Une ou leurs éditoriaux à la mort de la chanteuse,
qui s'est éteinte à l'âge de 67 ans.
Le mercredi 26 novembre
1997
Photo Jacques
Grenier
«À mourir pour mourir»,
elle avait choisi l'âge tendre, mais elle aura finalement attendu
67 ans avant de nous quitter. Barbara est morte dans la nuit du 24 au 25
novembre à l'hôpital américain de Neuilly. Avec elle
disparaît l'une des dernières représentantes de ce
qu'on a appelé le style «rive gauche» et certainement
l'une des voix les plus originales de la chanson française.
À Paris, la nouvelle a été
accueillie avec stupeur dans les milieux artistiques où l'on savait
que l'artiste souffrait de graves problèmes respiratoires. De la
chanteuse Catherine Lara au mime Marcel Marceau, tous lui ont rendu hommage.
Dans la population en général, Barbara conservait un public
fidèle. Son dernier disque, dans lequel elle disait sa fatigue de
vieillir, est sorti l'an dernier, après 16 ans de silence. En 1994,
elle avait dû se résoudre à ne plus remonter sur scène.
Pas plus tard que la fin de semaine
dernière, Luc Plamondon (qui lui a écrit 18 chansons) recevait
un message d'elle sur son répondeur, dans lequel elle le pressait
de ne pas attendre qu'elle soit morte avant de venir la voir. Suivait un
immense éclat de rire...
«Barbara a certainement écrit
une bonne douzaine de grands chefs-d'uvre de la chanson française,
dit celui dont les relations avec la star n'ont pas toujours été
au beau fixe. Elle est à mettre parmi les plus grands. Mais ce n'est
pas quelqu'un qui se voyait vieillir. Elle se sentait comme une survivante
depuis des années.»
«La chanson qu'elle incarnait,
c'était sa chanson propre», a déclaré Georges
Moustaki, qui a composé Ma solitude en réponse à un
texte de Barbara qui présentait la solitude comme une souffrance.
La Longue Dame brune, qu'ils ont chantée en duo dans toute la France
pendant des mois, est d'ailleurs la combinaison d'une chanson de Moustaki
et de la réponse que lui adressa Barbara.
«Elle était hors de
la mode et hors du temps», a dit l'écrivain Jacques Attali,
ancien conseiller de François Mitterrand. Barbara avait salué
en spectacle l'élection des socialistes en 1981. Avec «le
caractère parfois étrange de ses textes» et «la
fragilité de sa voix», a dit le premier ministre Lionel Jospin,
«elle ne semblait pas a priori être une chanteuse populaire.
Et pourtant, elle a touché des foules immenses».
C'est avec les cheveux à
la garçonne et un nom à la Prévert que Monique Serf
abandonne le Conservatoire et commence à chanter vers 1950 dans
les bistrots de Bruxelles. Peu avant, elle a lavé la vaisselle dans
le café des frères Prévert et vu défiler Boris
Vian et Mouloudji.
Elle interprète alors Georges
Brassens, Léo Ferré et Pierre Marc Orlan. Très vite,
elle se retrouve à Paris sur la petite scène de L'Écluse,
quai des Grands-Augustins, à deux pas du boulevard Saint-Michel.
Embauchée pour dix jours, elle chantera cinq ans (de 1953 à
1958) dans cet ancien bistrot de mariniers envahi par la jeunesse d'après-guerre.
Chanteuse dite «réaliste»,
elle dira plus tard qu'elle ne pouvait plus parler d'amour comme elle le
souhaitait avec les mots des hommes. Elle écrira donc ses propres
chansons à partir de 1959 (Dis quand reviendras-tu?) et gagnera
lentement sa place dans un monde où les femmes étaient cantonnées
au rôle d'interprète. Elle triomphe en première partie
de Georges Brassens en 1964. Puis à l'Olympia en 1969.
«Le grand succès de
Barbara survient en pleine vague yéyé, se rappelle Luc Plamondon,
à une époque où l'on croyait que la chanson française
était en train de mourir. Barbara a cassé tout ça
avec un succès triomphal.» Le futur parolier était
alors étudiant à Paris.
Dès cette époque,
l'éternelle adolescente entretient une relation particulière
avec son public. Ma plus belle histoire d'amour, c'est vous, écrira-t-elle
en 1967. Son public le lui rend bien puisqu'il l'acclame parfois pendant
de longues minutes, forçant l'artiste à revenir sur scène
et à prolonger ses spectacles jusqu'à tard dans la nuit.
C'est à cette époque aussi qu'elle souhaite habiter les lieux
où elle chante. Elle loue des chambres à côté
des théâtres où elle se produit et occupe la scène
dès le matin.
À plusieurs reprises, Barbara
annoncera qu'elle quitte le spectacle pour ensuite revenir sur sa décision.
Depuis 1970, elle refuse systématiquement les apparitions à
la télévision, ne laissant filmer que quelques rares spectacles,
dont celui du Châtelet, en 1988, dont elle a elle-même revu
le montage.
Luc Plamondon lui a un jour rendu
visite sur la scène du Châtelet. «Elle recevait ses
amis sur la scène qu'elle transformait en appartement. [...] Quand
elle n'était pas en spectacle, elle pouvait jouer du piano toute
la nuit, passer des journées sans manger. Elle entrait littéralement
en transe.» Pour les 40 ans de Diane Dufresne, Luc Plamondon lui
fit chanter Joyeux anniversaire au téléphone.
La chanteuse du Mal de vivre a visité
Montréal à plusieurs reprises. Le musicien Jean-Claude Debout
racontait hier à la télévision française ses
séances de fou-rire avec elle au Patriote, une boîte à
chansons de Montréal. Alors qu'elle chantait à la Place des
Arts, le musicien lui avait arrangé un dîner avec le bandit
de grand chemin Jacques Mesrine. Un autre de ses admirateurs secrets...
Depuis quelques mois, Barbara écrivait
ses mémoires (qui pourraient être publiés chez Fayard).
Ce sont des «textes extraordinairement télégraphiques»,
dit Jacques Attali, à qui elle soumettait les manuscrits. Elle pensait
faire un film avec Lili Passion, le spectacle interprété
avec Gérard Depardieu sur des textes de Luc Plamondon. Georges Moustaki
venait de lui écrire un duo. Elle lui avait confié qu'elle
n'était plus en état de chanter.
Barbara disait qu'elle n'avait pas
de talent pour l'amour mais qu'elle croyait à la passion. Ses chansons
sont d'ailleurs largement inspirées de sa vie. Il pleut sur Nantes
raconte son rendez-vous manqué, en 1949, quelques heures après
la mort de son père. Un père porté disparu pendant
la guerre et qu'elle n'avait jamais revu.
Selon l'humoriste Alex Métayer,
«elle avait choisi de porter du noir parce que c'était une
couleur très scénique. Pourtant, elle riait beaucoup».
Tous ceux qui l'ont connue disent qu'elle riait sans cesse. Luc Plamondon
le premier, qui avoue par ailleurs lui avoir emprunté sa manie de
porter des lunettes noires alors qu'il travaillait chez elle.
«J'aime mieux vivre en enfer
que de mourir en paradis», disait-elle. Depuis des années,
elle chantait dans les prisons et soutenait la lutte contre le sida. Elle
lui avait d'ailleurs consacré une chanson.
Dans son disque sorti l'an dernier
(Barbara), elle évoquait son enfance avec une voix éteinte
mais encore vibrante. Elle s'y présentait comme une «chanteuse
de boulevard» et rappelait ses séjours dans les hôpitaux,
de même que la fatigue qui la gagnait lentement: «Mais qu'est-ce
qui t'arrive, demandait-elle, où va-t-il, ce train?»
LE TELEGRAMME BRETAGNE
- 26 NOV
Barbara : la chanteuse
du mal de vivre
Barbara, « la longue dame
brune » de la chanson, soeur d'âme de Brassens, Brel, Ferré,
créatrice de « L'aigle noir », « Gottingen »,
« Nantes » et quelques autres classiques de la chanson française,
est morte lundi soir, à 67 ans, à l'hôpital américain
de Neuilly, où elle avait été hospitalisée
dimanche. Elle a succombé à un « choc toxi-infectieux
foudroyant », probablement la conséquence d'une septicémie,
une infection sanguine. Les obsèques de la chanteuse, qui était
âgée de 67 ans, seront célébrées jeudi
à 11h au cimetière de Bagneux (Hauts-de-Seine).
Loin des modes et des remous du monde,
Barbara nous livrait sa petite musique intérieure, son mal de vivre,
et ses émerveillements ...
Barbara : la chanteuse du mal de vivre
Barbara, « la longue dame
brune » de la chanson, soeur d'âme de Brassens, Brel, Ferré,
créatrice de « L'aigle noir », « Gottingen »,
« Nantes » et quelques autres classiques de la chanson française,
est morte lundi soir, à 67 ans, à l'hôpital américain
de Neuilly, où elle avait été hospitalisée
dimanche. Elle a succombé à un « choc toxi-infectieux
foudroyant », probablement la conséquence d'une septicémie,
une infection sanguine. Les obsèques de la chanteuse, qui était
âgée de 67 ans, seront célébrées jeudi
à 11h au cimetière de Bagneux (Hauts-de-Seine).
Loin des modes et des remous du monde,
Barbara nous livrait sa petite musique intérieure, son mal de vivre,
et ses émerveillements. Personnalité entière, connue
pour son indépendance farouche et son goût de la liberté,
la chanteuse, née Monique Serf le 9 juin 1930 à Paris, laisse
plusieurs « standards » à la chanson française
: « Dis quand reviendras tu ? » (1959), « Nantes »,
« Gottingen », « Ma plus belle histoire d'amour »
(1965), « La dame brune » (1968), « L'aigle noir »
(1970).
« Victoire de la musique »
En 1996, elle avait sorti son dernier
album portant simplement le prénom qui l'avait rendu célèbre,
en France, mais également dans plusieurs pays à l'étranger,
où elle incarnait une certaine tradition de la chanson française.
Ce disque lui vaudra un an plus tard une « Victoire de la musique
».
Barbara se dédia pendant toute
sa vie à son art, sa vie privée dût-elle en pâtir.
Après une formation au conservatoire de Paris, Barbara choisit de
se consacrer à la chanson. A l'époque, elle n'est qu'interprète.
Elle met sa voix si particulière, toujours au bord de la rupture,
au service d'Aznavour, Brassens, Brel, Moustaki. Au début des années
50, elle met le cap sur Bruxelles pour y faire ses classes.
15 ans pour s'imposer
De retour à Paris, elle se produit
« chez Moineau » et surtout au cabaret de l'Ecluse, où,
pendant 10 ans (1953-1963), elle est présentée comme «
la chanteuse de minuit ». Il lui faudra pratiquement 15 ans pour
s'imposer.
En 1965, Barbara se produit en vedette
à Bobino, quatre ans après s'y être risquée
en vedette américaine de Félix Marten. En 1965 toujours,
elle écrit un de ses « classiques », « Ma plus
belle histoire d'amour » et rencontre l'impresario Charley Marouani,
l'un des artisans de sa « carrière » (un mot qu'elle
avait en horreur).
La deuxième moitié des années
60 sera très productive : « Nantes » (inspiré
par la mort solitaire de son père, en 1949 à Nantes), «
L'enfance », « Musique pour une absente ». Puis c'est
« La dame brune » (écrite avec Moustaki), « L'aigle
noir » (70), le seul « tube » de cette artiste atypique.
Elle goûte au cinéma au début des années 70,
avec Jacques Brel (« Franz », 1972), puis Jean-Claude Brialy
(« L'oiseau rare », 1973).
En 1973, la citadine assidue, noctambule
insatiable, s'installe à Précy-sur-Marne, petite localité
de la région parisienne, dont Yves Duteil est le maire, qui devient
son antre. Elle en sort peu.
La boucle bouclée
En même temps, elle se consacre
essentiellement à la scène : en 1981 c'est l'Hippodrome de
la Porte de Pantin (100.000 spectateurs, dont François Mitterrand
récemment élu président de la République).
En 1986, au Zénith, elle propose « Lily Passion », comédie
musicale avec Gérard Depardieu qui constituera un de ses rares échecs
artistiques. Suivront le Châtelet, Mogador, puis à nouveau
le Châtelet en 93. En retrouvant cette salle située à
un jet de pierre de l'Ecluse de ses débuts, Barbara confie que la
« boucle est bouclée ».
Présente sur scène, Barbara
délaisse l'écriture. En 1980 parait un album au titre symbolique
« Seule ». Elle n'en fera pas d'autre avant 16 ans. En septembre
96, le disque du retour, « Barbara », la voit explorer de nouveaux
terrains musicaux.
Mais sa voix est défaillante. Elle
chantera sur scène pour la dernière fois le 26 mars 1994
à Tours.
La voix de Barbara, toujours entre cristal
et fêlure, s'est définitivement tue et toute une génération
y perd un peu de sa jeunesse. (Photo AFP)
Une femme de combats
Barbara avait confié, à
maintes reprises, qu'elle privilégiait « les combats clandestins
» aux prises de position trop « ostentatoires ».
Ses combats clandestins, elle les avait
d'abord livrés contre la peine de mort, « une cause qui m'a
toujours trouvée disponible », et qui l'avait rapprochée
de François Mitterrand ...
Une femme de combats
Barbara avait confié, à
maintes reprises, qu'elle privilégiait « les combats clandestins
» aux prises de position trop « ostentatoires ».
Ses combats clandestins, elle les avait
d'abord livrés contre la peine de mort, « une cause qui m'a
toujours trouvée disponible », et qui l'avait rapprochée
de François Mitterrand. Par la suite, elle s'était attachée
à encourager les malades dans leur lutte contre le sida.
Sida et détenus
Sous le titre « Virus », Télérama
avait consacré une page, en 1990, à « Sancta Barbara
», à ses visites aux toxicomanes « partis », à
la fois « révoltés et d'une grande dignité,
me demandant de témoigner ».
Trois ans plus tard, la chanteuse avait
toutefois précisé : « Je ne crois pas au pouvoir des
artistes, mon nom n'est pas puissant pour défendre une cause importante
».
Barbara avait épousé depuis
bien longtemps la cause de ceux qui sont atteints par le virus du sida.
Ainsi, dès 1987, elle avait interprété « Sid'amour
», collecté des préservatifs entassés dans des
cartons et distribués chaque soir à Paris ou en province,
à l'issue de ses spectacles.
Elle avait alors milité en faveur
de l'installation de distributeurs de préservatifs dans les écoles
et lycées.
Ces dernières années, Barbara
les avait consacrées à la cause des détenus, auxquels
elle rendait visite régulièrement, selon ses proches qui
rappellent qu'elle avait chanté en milieu carcéral.
Ancien président d'Act up, Marc
Nectar explique qu'elle ne cessait de s'inquiéter des conditions
de détention. Récemment, poursuit-il, elle avait été
« la seule personnalité à signer un texte favorable
à la fourniture de seringues dans les centrales. En la circonstance,
elle n'avait pas manqué de courage, comme de coutume ».
« Bougez-moi tout ça... »
Menant son combat dans l'ombre, Barbara
n'était pas une militante d'Act Up. « Elle était bien
plus que ça, une amie », souligne Marc Nectar qui ajoute qu'
« au jour le jour, depuis sa maison où elle demeurait discrètement
enfermée, elle se tenait informée de nos activités.
Elle se montrait très exigeante. N'hésitez pas à me
solliciter, nous priait-elle ».
« Bougez-moi tout ça... »,
avait-elle demandé à Marc Nectar, lors de leur dernière
liaison téléphonique. «
C'est de sa propre initiative que Barbara
avait légué à Act up les droits de la chanson «
le couloir », celui qui, en milieu hospitalier, dessert toutes les
chambres, une chanson issue d'un dernier album évoquant la maladie,
l'insomnie, la douleur ou bien encore la grisaille de cette fin du siècle.
Georges Moustaki avait chanté avec
Barbara l'inoubliable « longue dame brune ». (Photo AFP)
HUMANITE 26 Novembre
97 - CULTURE
Barbara Réactions
JACQUES CHIRAC: 'J'apprends avec
une vive émotion, émotion qui sera très largement
partagée, la disparition de Barbara. Elle était le talent,
l'intensité, le don de soi au public, la passion, passion des mots
et des rythmes, mais aussi passion tout court. Pour tous ceux qui l'aimaient
et qui appartenaient à toutes les générations, elle
était une amie en même temps qu'une grande dame. Sa voix nous
manque déjà.'
LIONEL JOSPIN: 'Notre pays perd
un très grand talent. Cette nouvelle m'a profondément touché.
Je faisais partie de ses admirateurs, comme beaucoup de Françaises
et de Français. J'ai été frappé à travers
le temps par le fait qu'une femme dont la voix était si singulière,
les textes si exigeants, la personnalité si originale, et que rien
peut-être ne prédisposait à avoir un succès
immense, a été en même temps une chanteuse populaire,
même si elle avait ses partisans plus passionnés que d'autres.
C'était une personnalité complexe, une femme qui avait le
sens de la souffrance et qui était sensible à la souffrance
des autres.'
CATHERINE TRAUTMANN: 'Une de nos
plus belles histoires d'amour, c'est Barbara. La chanson française
perd une voix unique, reconnaissable aux premiers accents, une présence
mystérieuse qui savait pourtant se faire si proche de ceux qui l'écoutaient
et qui devenaient ses amis, le temps d'une chanson et souvent bien au-delà.
L'ardeur et la passion de cette femme, attentive aux blessures de la vie
et aux justes causes, habitaient totalement son univers artistique. 'Sid'amour
à mort' reste dans nos mémoires comme l'un des plus beaux
chants d'amour.'
FRANÇOIS HOLLANDE: 'L'aigle
noir a désormais regagné le ciel. Barbara vient de nous quitter.
La poésie de ses textes a marqué plusieurs générations
et laissera à chacune et chacun d'entre nous le souvenir d'une extrême
sensibilité...'
JACK LANG: 'Barbara était
une figure rayonnante de la chanson et de la poésie françaises,
un immense personnage de la scène par sa présence étrange,
mystérieuse et généreuse, C'était une amie
incomparable par sa générosité, sa fidélité
et sa noblesse d'âme. Je ne peux oublier en cet instant les liens
intimes et forts qui la liaient à François Mitterrand. Ce
fut pour moi un honneur de soutenir ses projets et ses actions, en particulier
la comédie musicale qu'elle réalisa en 1986 avec Gérard
Depardieu. Ses engagements étaient moins politiques que civiques
et poétiques. Son action contre le SIDA s'est déployée
discrètement, mais avec ténacité, dans les prisons
et les établissements scolaires.'
26 Novembre 97 -
CULTURE
Barbara Témoignages
Jean-Louis
Aubert
Lorsque j'avais rencontré Jean-Louis
Aubert pour la sortie de son dernier disque, il avait longuement évoqué
Barbara, pour qui il avait composé la musique d'une de ses chansons.
Une amitié très forte les unissait, il en parlait avec sincérité
et émotion: 'C'est une belle histoire d'amitié, qui peut
ressembler à une histoire d'amour si ce n'était pas bizarre
de le dire. Il y a beaucoup de séduction, des deux côtés,
avec l'envie de ne jamais décevoir. J'aime la prendre dans mes bras.
Les garçons doivent lui plaire physiquement. Si une tête ne
lui revient pas... C'est son côté très femme! Quant
à nous deux, nous mettons cela sous le signe de l'amitié,
de la camaraderie. Il n'est pas question de conflit de générations
entre nous: je la trouve plus jeune que moi, plus rock and roll. C'est
une personne qui n'a jamais fait de concessions, qui s'est dévouée
à la scène. Si j'avais une éthique, ce serait très
certainement la sienne: faire les choses à fond, être au plus
près des gens pour leur donner des émotions avec générosité.
Ça dépasse les clivages musicaux. J'ai rencontré une
personne dont la noblesse de coeur appartient presque au passé,
tant cela semble un luxe aujourd'hui de survoler les choses matérielles
et ne voir que des âmes partout. Avec elle, on se croirait au XIXe
siècle: distribuer des billets de banque, prendre une calèche
pour se rendre chez son amant dans les rues de Paris... Entre sa générosité
et son côté bricolage, brancher des fils, tirer la musique
à soi; on ne parle pas de notes de piano mais de touches noires
et blanches, parce qu'on connaît mal les notes de musique, mais on
a quarante ans de musique dans les pattes et on parle de bruissements qui
devraient arriver à tel moment dans la chanson, de tissus frottés...'
Alex Métayer
C'est tout jeune comédien qu'Alex
Métayer a rencontré Barbara, à l'Ecluse: 'Ce fut une
rencontre amicale et artistique. Elle m'a présenté à
Brassens... Je crois qu'il faut prendre la mort avec une certaine ironie.
Barbara était une grande amuseuse, elle adorait faire rire. Il y
a cette image de la 'grande dame en noir', un côté tragique
qu'elle avait sur scène, qui la poursuit. Dans la vie, avec ses
proches, elle était drôle, elle faisait tout pour que la drôlerie
soit dans la vie. Pour mon dernier spectacle, elle m'a envoyé un
télégramme. Elle avait juste écrit: 'Souviens-toi
de nos fous rires'...'
Propos recueillis par ZOE LIN
26 Novembre 97 -
CULTURE
Barbara Cette
passante aimée qui embellit nos vies
BARBARA, hospitalisée dimanche
à l'Hôpital américain de Neuilly, y est morte lundi
soir, à l'âge de soixante-sept ans. Le communiqué des
médecins a fait état d'un 'choc toxi-infectieux d'évolution
foudroyante'. Ses obsèques auront lieu le jeudi 27 novembre, à
Bagneux (Hauts-de-Seine), avenue Marx-Dormoy à 11 heures.
Un morceau de tous brutalement arraché.
Comme une cousine éloignée, proche par le coeur, dont on
apprend soudain que la voix chère s'est tue. Déjà,
en novembre 1993, elle avait dû interrompre, au Châtelet, une
série de récitals dont chacun fut un triomphe. On savait
qu'à l'abri de sa maison de Précy-sur-Marne - où,
écrivit-elle, 'Il existe des nuits / Allez savoir pourquoi / Où
sous un ciel de soie / Des papillons de nuit / Volent multicolores' - elle
coulait des jours heureux, gardée par son piano à l'air d'un
dragon noir aux grandes dents blanches. Pour tuer le temps, elle avouait
parfois tricoter. On n'ignorait pas qu'elle rédigeait ses Mémoires
pour le compte de la maison Fayard. Il paraît qu'elle en était
à mi-chemin, ayant déjà évoqué le cabaret
de l'Ecluse, ses débuts difficiles, la mort de son père,
qui lui avait inspiré le texte de 'Nantes', sa vie privée,
ses rencontres et passions.
Elle en avait assez des clichés
sur elle, leur ayant payé un assez lourd tribut. Elle aimait donc
se définir ainsi, par défaut en somme: 'Je ne suis pas une
grande dame de la chanson / Je ne suis pas une tulipe noire / Je ne suis
pas un poète / Je ne suis pas un oiseau de proie / Je ne suis pas
désespérée du matin au soir / Je ne suis pas une mante
religieuse / Je ne suis pas dans les tentures noires / Je ne suis pas une
intellectuelle / Je ne suis pas une héroïne / Je suis une femme
qui chante.'
Elle avait commencé en petit comité,
au cabaret, puis au fil des ans, les pains de l'amour se multiplièrent
autour d'elle, jusqu'à ce que des foules, tour à tour recueillies
et frémissantes, se mettent à répondre à l'offrande
de ses mains et de sa voix. Et cette façon de se mouvoir, qui n'appartint
qu'à elle, cette mise en scène de l'être tout entier,
dans l'implication authentique constituant le comble de l'art. 'Sophisticated
Lady'? Sans doute. Dans le drapé du geste, les volutes de l'apparition
orchestrée, la science musicale (Monique Serf, de son vrai nom,
avait étudié au Conservatoire de Paris), les répétitions
au cordeau, la main tendue pour un baiser à venir du ciel. Barbara
fut cette figure admirablement découpée, cette fine silhouette
au teint de tubéreuse digne d'une gravure d'Aubrey Beardsley. Pardon
de repiquer au cliché. Est-ce inévitable? Peut-être,
dès lors que l'on confond le personnage et la créature.
Au demeurant la plus chic fille du monde,
adorable, taquine, mutine même, généreuse sans ostentation.
Elle privilégiait 'les combats clandestins'. Contre la peine de
mort d'abord - cette cause l'ayant alors rapprochée de François
Mitterrand -, puis contre le SIDA. En dernier lieu, elle s'était
consacrée à la condition des détenus, leur rendant
souvent visite.
'Je ne suis pas douée pour la vie
à deux', disait-elle volontiers. De sa vie privée, jalousement
gardée, on ne sut jamais rien. Cette 'plus belle histoire d'amour
c'est vous' adressée à l'âme du public signifie sans
doute, au fond, une espèce de sacrifice librement consenti.
On n'en finit pas d'entendre dans la tête
la caresse raffinée de cette voix chaude, avec de soudaines raucités
en rayant le velours, ces mots cousus avec soin l'un après l'autre,
ou brodés au point de folie. Car il y avait en elle un excès,
d'amour vraisemblablement, qui trouva à s'employer pour des foules
dans son corps pâmé dans le fameux rocking-chair. L'impudeur
souveraine de l'apparition allait de pair en elle avec une délicatesse
extrême. Quelle femme civilisée!
'L'Enfance', 'l'Aigle noir', 'la Dame
brune', 'Gôttingen', 'Dis, quand reviendras-tu?', 'Seule'... De quoi
entretenir le culte à venir. Pleurons cette passante aimée
qui embellit nos vies.
JEAN-PIERRE LEONARDINI.
26 Novembre 97 -
CULTURE
Barbara Robert
Hue: 'Inimitable'
Sitôt connue la nouvelle de
la disparition de la grande artiste, Robert Hue, secrétaire national
du Parti communiste français, a fait la déclaration suivante:
'C'est avec émotion que j'apprends
la disparition de Barbara. C'était, comme pour beaucoup, l'une de
mes chanteuses préférées. Avec sa voix, le climat
inimitable qu'elle savait installer, sa musique qui s'accordait si bien
à ses textes, son inoubliable silhouette, cette façon d'être
à la fois 'grande dame' et si proche... Que de chemin parcouru depuis
l'Ecluse, loin de la facilité des sentiers battus. Et quelle présence
si familière à nos coeurs et nos mémoires qui va beaucoup
nous manquer.'
26 Novembre 97 -
CULTURE
Barbara Il
y a huit jours au téléphone
LE ciel me tombe sur la tête. J'avais
eu Barbara au téléphone il y a à peine huit jours.
Elle avait l'air parfaitement heureuse. La conversation fut fort longue.
Elle riait comme jamais. J'avais l'impression qu'elle était enfin
disponible. 'Tu sais, je me suis fait opérer de la cataracte. Je
n'avais plus que deux dixièmes de vue et maintenant j'en suis à
neuf dixièmes. Dans quelques jours je vais passer à l'autre
oeil. Mais ce n'est rien tu sais, c'est l'affaire d'une journée.
On va se voir, tu me feras un feuilleté (elle se souvenait de mes
origines de pâtissier) ou alors une galette des rois. Je vais t'envoyer
mon dernier CD 'Femme-piano', tu me diras ce que tu en penses.'
Barbara m'avait confié qu'elle
avait entrepris d'écrire un livre de souvenirs. J'avais essayé
d'en savoir un peu plus. 'Je vais parler de mon itinéraire, des
gens que j'ai aimés. A propos, nous on s'est connus en quelle année?
En 1962 je crois. Tu te souviens lorsqu'on faisait notre marché
ensemble place de la Réunion' (elle habitait à cette époque
rue de Vitruve, dans le 20e arrondissement de Paris).
Barbara m'avait chargé de missions.
Pour son livre, elle tenait à éclaircir un point d'histoire.
'Peux-tu me rechercher les références de la catastrophe minière
de Marcinelle en Belgique. Est-ce qu'il y a eu des survivants? D'autre
part, est-ce que tu peux demander à Raymond (Devos) si j'étais
bien avec lui au cabaret de la Tête de l'art?'
Bien sûr, il fallait que je salue
Raymond Devos et Catherine Sauvage que j'allais rencontrer. Et Cora Vaucaire
(quel talent). Oui je vais l'appeler sans faute.
Barbara n'était pas celle que l'on
croyait, celle que l'on affublait de tous les qualificatifs. Mystérieuse,
mante religieuse, j'en passe. Tout ce que chantait Barbara avait une relation
intime avec sa propre expérience. J'ai eu le privilège d'assister
à la naissance de son premier disque d'auteur, celui qui l'a révélée
à un large public. A partir de là débuta la plus belle
histoire d'amour (avec son public).
J'allais souvent à Rémusat
(du nom de la rue où elle habitait). J'y rencontrais, à cette
occasion, un auteur imberbe qui s'appelait Georges Moustaki. Une à
une, Barbara nous soumettait ses chansons. Nous allions de bonne surprise
en véritable coup de coeur. Je me souviens d'être allé
au théâtre de l'Etoile en sa compagnie. Yves Montand s'y produisait
avec un immense succès. Barbara lui proposa quelques chansons. Visiblement
elles n'étaient pas pour lui. C'était bien ainsi, il n'y
avait qu'elle à pouvoir les interpréter. Elle fut d'abord
une interprète chantant des chansons d'hommes. C'était pour
elle inconcevable. Elle changea donc d'orientation. On sait que l'Ecluse
fut, pendant sept ans, son port d'attache. Elle rêvait de pouvoir
s'en évader. Les grands espaces la tentaient. Nous étions
allés à l'Olympia voir Johnny Hallyday qu'elle aimait beaucoup.
Elle me glissa soudain à l'oreille: 'J'ai très envie de chanter
sur cette scène!' Je fus un peu interloqué et, bien sûr,
Bruno Coquatrix l'engagea. Cette fois, la femme rivée à son
piano chanta debout à plusieurs reprises. Qui l'eût cru?
J'ai applaudi Barbara ici et là.
A Pantin (sous chapiteau) et au Zénith en 'Lily Passion' avec Gérard
Depardieu. A Mogador et au Châtelet. A la Fête de l'Humanité,
elle y venait pour son plaisir et le nôtre. Barbara était
fidèle en amitié. Le cercle était restreint. Elle
était imprévisible, se manifestant lorsqu'on ne l'attendait
pas.
Récemment, elle m'avait dit qu'elle
voulait offrir un arbre de Noël aux enfants dont les parents étaient
sans travail. Discrète, elle ne criait pas sur les toits ses élans
de générosité.
Elle était incapable de dissimuler
ses sentiments. 'Je suis une femme attachée à une ligne de
conduite me disait-elle. J'ai pu commettre des fautes, comme tout un chacun.
Mais si je me regarde, si j'établis une sorte de bilan, je pense
que je n'ai pas à rougir.'
GUY SILVA.
26 Novembre 97 -
CULTURE
Barbara.
Une femme libre qui a chanté tous
les visages de l'amour. 'Certes, je m'exhibe, nous dit-elle un jour, mais
en même temps je chéris une sorte de clandestinité.
En même temps, je ne peux me défendre d'un malaise, d'un chagrin.
Comme un sanglot. Il existe une telle désespérance.
Et ces gens dans la rue qui tendent.
la main... Comment être à
l'écoute du mal de vivre? Cela m'embête d'écrire avec
le sang des autres. Il faut pourtant lutter contre la tentation du sanglot.'.
FRANCE 2 (TV) 27
NOV.
La mort de
Barbara 24 novembre 1997
Barbara est morte lundi 24 novembre
à l'Hôpital Américain de Neuilly, à l'âge
de 67 ans. Elle laisse derrière elle des chansons qui figurent parmi
les plus belles du répertoire français: "L'Aigle noir", "Göttingen",
"Nantes", "Chapeau Bas"... Et celle par laquelle elle terminait tous ses
concerts, s'adressant au public: "Ma plus belle histoire d'amour, c'est
vous".
Barbara: rétrospective Georges
Bégou, montage Valérie Castel Barbara, portrait express Chansons
et spectacles: quelques dates
Barbara, portrait express
Barbara, qui vient de mourir à
Paris à l'âge de 67 ans, à la suite de complications
respiratoires, avait commencé sa carrière de chanteuse en
1953. Elle avait fait ses débuts parisiens au cabaret de l'Ecluse
en interprétant Brassens et Ferré avant d'écrire son
propre répertoire. De son vrai nom Monique Serf, Barbara composait
avec Brassens et Brel le trio des trois "b" de la chanson francaise aux
côtés de Ferre, Aznavour et Ferrat.
Sa longue silhouette noire,surplombée
d'un visage anguleux et fin, comme un point sur un "i", sa voix au timbre
si particulier, au phrasé incomparable, étaient reconnaissables
entre toutes. Auteur compositeur, Barbara donna à la chanson francaise
parmi ses plus belles pages: "Göttingen", sur la réconciliation
franco-allemande, "L'aigle noir", "Au bois de Saint-Amand", "Marienbad"
ou "Ma plus belle histoire d'amour, c'est vous", dédiée a
son public.
Célibataire, Barbara vivait
à Précy-sur-Marne, commune administrée par un autre
chanteur, Yves Duteil. Depuis des années, elle était engagée
dans des actions de soutien aux malades du SIDA ("Sidamour à mort"...),
mais aussi aux femmes prisonnières, aux enfants maltraités
(" un enfant qui meurt, qu'il soit de n'importe où, c'est un enfant
qui meurt...que c'est abominable, d'avoir pour ennemi, les rires de l'enfance...").
Cette grande figure fragile était
parvenue à protéger sa vie privee et ne faisait la "une"
que pour la sortie d'un nouveau disque ou ses tours de chant. Se produisant
régulierement en public, Barbara avait sur scène une présence
dramatique qui donnait chair à son repertoire. Elle ne faisait qu'un
avec lui, et restera à jamais "l'aigle noir".
Jacky Bornet, Anne Brigaudeau
Chansons et spectacles: quelques dates
1962 : "Dis quand reviendras tu
?" 1965: "Ma plus belle histoire d'amour" 1968 : "La dame brune" (avec
Georges Moustaki) 1970 : "L'aigle noir" 1971 : "Vienne" 1980 : "Seule"
1986 : "Lily Passion", spectacle avec Gérard Depardieu. 1987 : "Sid'amour
à mort" 1994 : dernière apparition sur scène à
Tours (26 mars) 1996 : sortie de "Barbara ", son premier album depuis 1980.
Le 13e de sa carrière.
FRANCE 3 (TV) 27
NOV Obsèques de Barbara
Environ 2.000 personnes ont rendu
aujourd'hui un ultime hommage à Barbara, en assistant à ses
obsèques, à Bagneux, dans les Hautes-de-Seine. Anonymes et
personnalités, notamment du monde de la chanson et du cinéma,
ont tenu à accompagner la "Dame noire" jusqu'à sa dernière
demeure. Barbara, décédée lundi soir à l'âge
de 67 ans des suites d'un choc toxi-infectieux d'évolution foudroyante,
reposera désormais dans le caveau de la famille Brodsky. Gérard
Depardieu ému, a lu quelques vers empruntés à Verlaine,
pour témoigner son amitié à cette grande dame si discrète:
"Les sanglots longs des violons de l'automne, bercent mon coeur d'une langueur
monotone". "Tu te méfiais de novembre, dit sobrement l'acteur, il
me reste tes joies, tu chantais de l'au-delà, chante encore, tu
vis maintenant dans ton île aux mimosas, je t'aime mon ange".
FRANCE 3 (TV) 25
NOV Décès de Barbara
La chanteuse Barbara est décédée
lundi soir. Agée de 67 ans, elle avait été hôspitalisée
dans la nuit de dimanche à lundi à l'hôpital américain
de Neuilly. Les médecins ont indiqué qu'elle avait été
"victime d'un choc toxi-infectieux d'évolution foudroyante". La
"Dame brune" s'en est donc allée, après avoir enregistré
en novembre 1996, le 13e disque de sa carrière. Récompensée
par la Victoire de la Musique de l' "artiste féminine de l'année",
le 10 février dernier, Barbara nous laisse plusieurs grandes chansons,
comme "A mourir pour mourir", "L'Aigle noir", ou "Marienbad". Mais il y
en a une qu'il ne faut pas oublier, et que cette grande dame de la chanson
française, célibataire depuis toujours, avait dédié
à son public, c'est: "Ma plus belle histoire d'amour c'est vous".
Barbara sera inhumé jeudi, à Bagneux, dans les Hauts-de-Seine.
Le chef de l'Etat français, Jacques Chirac, a salué aujourd'hui
la mémoire de cette femme émouvante et passionnée.
Le Premier ministre Lionel Jospin s'est également déclaré
touché par la disparition de Barbara; une femme à la "voix
si singulière".
Hommages à Barbara
La chanson française est en deuil
avec la disparition de Barbara, décédée lundi soir.
Les hommages pleuvent aujourd'hui en mémoire à cette grande
dame qui nous a quitté à 67 ans. Discrète, généreuse,
sensible, authentique, figure rayonnante de la chanson, les qualificatifs
sont nombreux, mais l'émotion aussi. Dans son village de Précy-sur-Marne,
en Seine-Saint-Denis, les habitants gardent en mémoire d'elle, l'image
d'une femme soutenant des grandes causes, et lui vouent une admiration
énorme. De son vrai nom Monique Serf, Barbara, défendait
les plus opprimés. Elle s'était également engagée
dans le soutien aux malades du Sida. De sa propre initiative elle avait
légué à Act Up les droits de sa chanson "le couloir",
mais aussi chanté pour les détenus..., et tout cela dans
l'ombre de la discrétion même. Barbara avait commencé
sa carrière à Bruxelles, avant de revenir en France, et d'y
chanter les plus grands: Brassens, Brel, Ferré, Aznavour. Entre
1960 et 1970, elle chante, entre autre: "Dis quand reviendras tu?", "La
dame brune", "Adieux", et connait un énorme succès avec "L'Aigle
noir", en 1970. Puis la "Dame noire " fera ses débuts au cinéma,
sous la direction de Jacques Brel, et progressivement, se fera de plus
en plus rare. En novembre 1996, c'est la sortie de son 13e et dernier album.
En 1997, elle obtient pour la 2e fois le Victoire de la Musique. Et pour
finir, celle qui déclarait: "J'ai horreur de la mort, mais je suis
fascinée par la vie", ajoutant: "on a peur de perdre les gens qu'on
aime, quelquefois de mourir soi-même...", s'en est allée,
discrètement...
Mardi 25 novembre
1997, 12h23 heure de Paris
France - Barbara,
la "Dame en noir", est décédée
PARIS, 25 novembre, Reuters - La chanteuse
Barbara, qui avait été hospitalisée dimanche soir
à l'hôpital américain de Neuilly, y est décédée
lundi soir à l'âge de 67 ans, a-t-on appris mardi de sources
proches de l'établissement.
Barbara souffrait depuis quelques années
de graves problèmes respiratoires. Elle avait dû interrompre
un tour de chant à Paris, au théâtre du Châtelet,
en décembre 1993 et avait pris, en 1994, la décision de ne
plus remonter sur scène.
Le docteur Patrick de Rohan Chabot de
l'hôpital américain a précisé que la chanteuse
a été "victime d'un choc toxi-infectieux d'évolution
foudroyante" et est décédée "en dépit de toutes
les techniques de réanimation mises en oeuvre".
Le dernier album de la "Dame en noir",
"Seule", était sorti en novembre 1996, il y a juste un an. Elle
avait été récompensée le 10 février
dernier par la Victoire de la Musique de l'"artiste interprète féminine
de l'année". Une compilation de ses plus grands succès, remastérisés,
vient juste de sortir.
Barbara, née Monique Serf, composait
avec Jacques Brel et Georges Brassens le trio des trois "B" de la "chanson
française" des années soixante, aux côtés des
autres vedettes, Aznavour, Léo Ferré ou Jean Ferrat.
Sa longue silhouette noire, sa voix parfaite
et son piano étaient les ingrédients de la légende,
jalonnée de succès comme "Göttingen", hymne émouvant
à la réconciliation franco-allemande, "A mourir pour mourir"
ou la tentation du suicide, "Nantes", "L'Aigle noir", "Marienbad", "Au
bois de Saint-Amand", et "Ma plus belle histoire d'amour", dédiée
à son public.
Née à Paris le 9 juin 1930,
elle avait suivi les cours du conservatoire de Paris et fait ses débuts
en 1953 au cabaret parisien de l'Ecluse, en interprétant Georges
Brassens et Léo Ferré avant de composer son propre répertoire.
Elle avait ensuite interprété
Brel, chanté avec Georges Moustaki et monté en 1986 une comédie
musicale "Lily Passion" avec le comédien Gérard Depardieu.
Barbara a également été
actrice. Elle a joué dans "La Fiancée du Pirate" (1969) de
la cinéaste française Nelly Kaplan et dans "Franz" (1972),
l'un des deux films réalisés par Jacques Brel.
Depuis quelques années, Barbara
vivait à Précy-sur-Marne, en Seine-et-Marne, une commune
administrée par un autre chanteur, Yves Duteil.
"Nous étions déjà
des admirateurs de Barbara et on a découvert la femme qu'elle était,
très généreuse, très, très discrète
et elle nous téléphonait très souvent pour proposer
des actions pour les jeunes, des cadeaux pour les enfants, des gestes pour
les personnes âgées; (...) on n'a jamais raté un de
ses spectacles. On était toujours sidéré par l'amour
que le public avait pour elle", a dit le chanteur et maire sur France-Info.
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